Le théâtre Colón à Buenos Aires, en Argentine. Ted McGrath / Flickr

Il y a un mois de cela, les lieux culturels rouvraient leurs portes dans le pays du Tango. Confinés depuis plus d’un an, les acteurs de la culture peinent à retrouver un chemin viable, notamment en raison de l’effondrement économique du pays.

23 683. C’est le nombre de nouveaux cas de Covid-19 recensés en 24 heures vendredi dernier en Argentine. Il y a seulement un mois, la moyenne quotidienne n’atteignait « que » les 8 000. Face à ce regain de contaminations, le président, Alberto Fernandez, lui-même contaminé bien que vacciné, a opté pour une nouvelle stratégie : la mise en place d’un couvre-feu. Cette stratégie a le mérite de permettre aux théâtres, musées, librairies et cinémas de poursuivre leurs activités, à condition de respecter des mesures sanitaires strictes : ils ne peuvent accueillir plus de 30 % de leur capacité habituelle et prennent la température des clients à chaque entrée. Etouffés par un premier confinement de 5 mois, les lieux culturels peinent à garder la tête hors de l’eau. Financièrement, la quasi-paralysie de l’activité due à la crise sanitaire a alimenté une dette déjà abyssale que le pays s’échine à modérer. Basé sur des critères liés au niveau d’endettement, à celui de liquidité et de solvabilité, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a récemment déclaré l’Argentine en situation de « vulnérabilité financière ». Cet effondrement économique ne fait que renforcer les difficiles conditions de travail et de création des acteurs de la Culture.

Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Mauricio Macri (2015-2019), l’Argentine a été vidée de toutes ses richesses. « L’ancien président avait notamment placé le ministère de la Culture à l’Intérieur du ministère de l’Éducation avant que ce dernier ne devienne une partie du ministère du Développement social », explique Maria Belen Bruera, argentine expatriée en France. Si Alberto Fernandez, l’actuel président de centre-gauche, a restitué la place de chacun de ces ministères, il a encore de nombreux défis à relever. Le domaine culturel a énormément souffert de la mauvaise gestion de ses institutions, de la réduction des budgets et de l’encouragement du soi-disant « esprit d’entreprise » dissimulant le manque de soutien économique de l’État. « Ces politiques ont été fructueuses pour les puissances impérialistes déployant leur avidité de domination dans le pays », déplore Hugo Ponce, ténor d’opéra, et membre du syndicat ATE (Association des travailleurs de l’État). Bien que l’unité populaire ait su chasser Mauricio Macri du pouvoirle gouvernement actuel continue de combattre activement toute mesure qui affecte ses privilèges, à l’image d’un rehaussement de l’impôt sur la fortune. « L’actuel impôt sur le revenu n’affecte pas tellement les grandes fortunes mais davantage les classes moyennes et populaires », scande Maria Belén Bruera. Un tel impôt pourrait permettre de financer en partie le secteur culturel et ainsi profiter au peuple.

Depuis l’année dernière, des mesures ont tout de même été prises par le gouvernement afin de soutenir économiquement l’effort national. Outre l’argent envoyé ponctuellement sous forme de chèques, « le gouvernement a étendu le concept d’une journée de promotion dans les magasins alimentaires à tous les commerces du pays », déclare Maria Belen Bruera. Chaque jour, c’est un secteur différent qui propose ces promotions, des librairies aux cinémas en passant par les boutiques vestimentaires. Le concept s’est étendu à l’ensemble des commerces afin d’aider financièrement les magasins et les ménages. Mais pour bénéficier de cette promotion, il faut compter parmi les clients de la « banco provincia », la plus grande banque d’Argentine, qui appartient au gouvernement. « Si vous détenez la carte de cette banque, vous pouvez bénéficier d’une promotion de 30% », précise Maria Belen Bruera.

Créations artistiques à l’épreuve d’une culture confinée

Au-delà des conséquences de la pandémie, plusieurs infrastructures culturelles nécessitent de grands travaux de fond depuis plusieurs années. Et les retards de financement n’arrangent rien, « le budget annuel alloué à la culture en 2020 n’a toujours pas été perçu par les lieux culturels tandis que celui de 2021 n’a pas encore été validé. » D’aucuns théâtres sont dans un état d’insalubrité les rendant inutilisables. « Certains sont privés d’eau, d’électricité, et les canalisations sont à refaire », affirme Hugo Ponce. « El teatro argentino » – situé à la Plata, province de Buenos Aires – fait partie de ces lieux de culture qui mériteraient un vrai travail de rénovation. « El teatro argentino »ne sera pas en mesure d’accueillir du public avant 2022 », affirme Hugo Ponce. « El teatro de la bosque » ainsi que « El teatro de la comedia » subiront sans doute le même sort.

Afin de compenser le vide culturel dans le pays, plusieurs artistes ont fait preuve d’imagination en proposant des découvertes virtuelles de créations artistes. La majorité d’entre eux ont présenté leurs productions sur le web. Hugo Ponce a ainsi créé un groupe de « musique baroque via lequel il propose des concerts rediffusés. » Ne se contentant pas de ces créations virtuelles, il a également « réalisé quotidiennement des concerts depuis le balcon de [son] appartement, avec un répertoire lyrique, populaire (tango et de folklore). » De quoi amener un peu de vie autour de lui, et transmettre son amour pour la musique au voisinage et autres personnes qui venaient l’écouter en bas de chez lui.  

Dans le secteur éditorial, les conséquences n’ont pas uniquement été négatives. La longue période de confinement a contraint le secteur à se digitaliser en un temps record. Rideaux baissés, les librairies ont dû réfléchir à une nouvelle façon de vendre leurs livres. « Les présentations sur zoom et les directs sur Instagram se sont alors enchainés assurant la promotion des nouveautés littéraires habituellement faites en libraires lors de rencontres avec les auteurs », explique Carina Burcatt, coordonnatrice du secteur éditorial du ministère de la Culture de la Province de Buenos Aires. Afin de pallier ce manque et d’assurer la continuité de leurs activités malgré la crise sanitaire, les libraires ont dû créer des sites internet très rapidement. « Des salons du livres digitalisés ont également été organisés mais n’ont pas connu un grand succès », déplore Carina Burcatt. La rapide digitalisation du secteur éditorial lui a permis d’être plus résilient que d’autres. Pour autant, la rétribution économique de ce qui est perçu via les canaux numériques reste infimes. Le soutien de l’État est devenu le fil auquel se raccrochent la plupart des acteurs du monde culturel. Ils ne leur restent plus qu’à attendre patiemment l’argent qu’ils devaient toucher en 2020.

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