
En hommage à la réalisatrice Agnès Varda, Juliette Dubois, créatrice de Ciné-balade, proposait, dimanche 28 mars, la diffusion de Cléo 5 à 7 ainsi qu’une promenade virtuelle dans les rues du 14ème arrondissement sur les pas de la photographe et cinéaste.
Juliette Dubois, spécialisée en histoire du cinéma à Paris I, organise des Ciné-balades dans la capitale parisienne depuis 2011. Dans chacun de ces évènements, la jeune femme lie à l’histoire du lieu des anecdotes de films et de personnages importants de l’histoire du cinéma. Juliette s’est associée à la 25ème heure afin de pouvoir mener ces visites guidées en direct via internet. En nous emmenant dans les rues du 14ème arrondissement, elle relate le parcours singulier de la cinéaste qui s’est éteinte le 29 mars 2019. La balade virtuelle débute rue Daguerre avant de se terminer place Denfert-Rochereau.
Lors de cette visite, Juliette Dubois évoque la fresque réalisée en hommage à Agnès Varda, commandée par la mairie du 14ème arrondissement en concertation avec ses enfants. Cette fresque représentant certains personnages emblématiques de la vie d’Agnès a été réalisée par le Street Artist JBC et est visible rue Charles d’Ivry. En marchant dans la rue Émile Richard, Juliette Dubois raconte également l’idée insolite qu’a eu le petit-fils de Rosalie Varda, Corentin. « À l’image de la coupe bicolore de sa grand-mère, il a repeint en rouge et blanc les poteaux de la rue. »
Photographe, plasticienne et féministe, Agnès Varda est la première femme réalisatrice à faire carrière en France. La petite grande dame de la rue Daguerre, à Paris, vivait dans le présent. Elle était toujours dans l’action, débordante d’énergie et il en fallait beaucoup pour la suivre dans ses créations artistiques. Curieuse, Agnès Varda s’intéresse au cinéma lorsqu’elle atteint ses 25 ans. Elle crée la société de production Ciné Tamaris en 1954 – reprise par ses enfants aujourd’hui – située au 88 rue Daguerre, dans le 14ème arrondissement de Paris, à côté de sa propre maison. Agnès y produit son premier long-métrage, la Pointe Courte, tourné à Sète, dans la commune où ses parents, elle et ses quatre frères et sœurs, se sont réfugiés lorsque la guerre débutait en Belgique en 1940.
Pour la première fois, en 2008, Agnès collabore avec Julia Fabry lorsqu’elle réalise « Les plages d’Agnès ». Ce moment important, Julia Fabry nous le raconte avec ses mots : « Je me sentais à la bonne place, au bon moment. Ce film, c’est pour moi l’application de tout ce que j’avais appris en théorie. On partageait une très grande connexion intellectuelle avec Agnès. » Dans ce film documentaire, Agnès revient sur les étapes marquantes de sa vie. De son enfance en Belgique puis à Sète, de ses rencontres à son parcours de productrice indépendante, de sa vie de famille à son amour des plages, Agnès nous transporte dans une forme d’autodocumentaire rempli d’humilité, d’humanisme et d’humour.
Ce sont 13 années de collaboration qu’ont vécu les deux femmes, ou plutôt 26 ans en comptant les nuits blanches comme aime le dire Julia Fabry. « On a eu la chance de devenir très amies, et à partir de là, le travail s’est mêlé un peu à la vie. » En effet, Agnès entretenait une relation très étroite entre son travail et sa vie privée. La proximité entre sa maison et sa société de production Ciné tamaris en témoigne. Pour autant, l’auteure du documentaire Daguerréotypes a toujours insisté pour conserver son nom propre pour toutes ses expositions artistiques, signe de son indépendance vis-à-vis de sa société de production.
Particulièrement sensible aux questions sociales, l’auteure de Cléo de 5 à 7 accordait une place singulière à celles-ci au sein de ses films et documentaires. Déjà en l’an 2000, elle s’interrogeait sur la société de consommation, en s’intéressant aux glaneurs, ceux qui récupèrent ce que d’autres ne désirent plus. De cette constatation, elle produit un documentaire intitulé Les glaneurs, la glaneuse qu’elle traitera en se concentrant sur les aspects positifs de ce glanage. En se posant les bonnes questions, la dame à la coupe au bol bicolore a su mettre en lumière les sujets importants de son temps tout en étant précurseur dans sa technique de réalisation.
La vague d’Agnès
Annonciatrice du mouvement de la nouvelle vague des années 1960, « elle tourne en décors réels, en temps réel, loin des plateaux de cinéma », raconte Julia Fabry. Elle voulait avant tout casser le réalisme des films de l’époque et être libre dans sa manière de s’exprimer lorsqu’elle réalisait les siens. Afin d’innover, elle essayait de travailler avec des compositeurs qui étaient eux aussi en avance sur leur temps, tels que Pierre Barbaud pour la Pointe Courte, en 1954 et Michel Legrand (Cléo de 5 à 7, 1962).
La photographe et réalisatrice n’était pas une intellectuelle, contrairement aux autres figures emblématiques du mouvement de la Nouvelle Vague que sont Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, ou encore François Truffaut. Agnès, elle, avait étudié l’histoire de l’Art à l’école du Louvre avant de poursuivre une formation de photographie aux Beaux-Arts. « Quand j’ai fait ce premier film, je n’appartenais pas au monde du cinéma, je ne connaissais personne dans ce milieu, je n’allais même pas au cinéma », confia-t-elle à nos confrères de Paris-Match dans une interview. Agnès laissait place à son imagination, elle expérimentait, elle ne théorisait pas sa pratique du cinéma. Son travail était en ce sens très novateur : il est arrivé bien avant ce mouvement et les intellectuels qui le caractérisent.
Agnès Varda tenait à rester en mouvement avec son temps. « Elle a toujours fait les choses par anticipation », décrit Juliette Dubois, spécialiste de l’histoire du cinéma. Seule femme du groupe de la Nouvelle Vague, elle s’inscrit dans une démarche singulière lui permettant de se démarquer du mouvement des années 1960. Pour la réalisatrice, le cinéma a toujours été un moyen d’expression mais n’a jamais été une vocation. D’ailleurs, ses films ont souvent été produits avec des moyens de fortune. Ce qu’elle aimait, c’était aller au théâtre, se balader dans les rues et aller à la rencontre des gens. Faire carrière, elle s’en fichait.

Si elle avait énormément d’exigence, elle tirait sans cesse vers le haut les personnes avec qui elle travaillait, dans la mesure où elle demandait toujours le meilleur. Julia Fabry en avait conscience puisqu’elle a eu la chance de « travailler avec elle en tant qu’artiste en collaboration et en tant qu’intermittente du spectacle sur des productions cinématographiques en général, des fictions ou sur des documentaires ». La cinéaste avait une énergie débordante, elle traçait sa route dans une autonomie et une certaine liberté d’esprit. « Elle essayait de donner des réponses plastiques aux questions qu’elle se posait elle-même », note Julia Fabry. Agnès laisse aujourd’hui derrière elle 12 longs-métrages, 14 documentaires et 14 court-métrages.
Agnès était une femme extrêmement drôle, très ouverte, « toujours en alerte avec plusieurs idées à la minute », détaille Julia Fabry. Son perfectionnisme l’amenait à être très exigeante envers elle-même mais aussi avec les autres. Elle avait une grande capacité à s’inscrire dans la vie, elle était toujours joyeuse. C’était une femme « qui ne se plaignait jamais et n’aimait pas les gens malades ou qui s’apitoyaient sur leurs sorts », assure son amie et collaboratrice.
JR embarque Agnès Varda sur les routes de France
Lors de son éclipse sur la côte californienne de 1968 à 1970, elle observe ces artistes qui développent une nouvelle forme d’art, de rue, plus connu sous l’anglicisme Street Art. Sous forme de graffitis, ces artistes jouissent d’un moyen d’expression libre leur permettant d’exprimer leur rejet du système. Loin du vandalisme, ces artistes souhaitent également créer une œuvre qui a du sens visuellement.
JR, la star mondiale du collage photographique, toujours caché derrière ses lunettes noires, expose à travers le monde entier. De ses œuvres accolées aux murs de la cité de New York à son installation au Panthéon, Agnès l’avait remarqué. Rosalie Varda, la fille d’Agnès, a organisé la rencontre entre les deux artistes qui se sont tout de suite plu. Un certain esprit de liberté les liait, ils savaient qu’ils pourraient créer ensemble. Cette rencontre initiait le début de leur collaboration.
C’était un duo hors norme, improbable, mais qui se complétait incroyablement bien. Tous deux, épris de passion pour les images, s’exprimaient au travers de supports différents. JR exposait ses photos en plein air ou dans des galeries à travers le monde entier alors que la cinéaste utilisait sa caméra. En 2017, ils ont réalisé le documentaire Visages, Villages. En l’espace de deux années et par intermittence, ils partent en tournage sur les routes de France dans la camionnette de JR. Ils roulent au gré des rencontres et écoutent tout ceux qui ont des choses à raconter. L’œuvre a reçu le prix de l’Œil d’or du meilleur documentaire au festival de Cannes et a été primée au festival de Toronto et de Vancouver.
Dans la continuité de sa collaboration avec Agnès, Julia Fabry organise régulièrement des expositions en concertation avec ses enfants. La prochaine en date devrait se tenir à Paris en juin prochain à la Fondation Monte-Cristo, Villa Datris, dans le 20ème arrondissement. Une nouvelle version de « Recyclage sur-cyclage » sera présentée avec deux installations : « Dépôt de la cabane de plage » et « Maquette de l’affaire du bonheur ».