De dos, Guillaume Budé. @ Marie Provot

Sanctuaire du savoir où les professeurs sont les meilleurs au monde, les enseignements gratuits et les diplômes absents sont constitutifs du Collège de France. Depuis un an, le lieu est désert mais les cours en ligne enregistrent des audiences record.

Lorsqu’il est couronné roi à Reims en 1515, François 1er est déjà profondément influencé par la culture italienne, comme en témoigne son admiration et son amitié pour Léonard de Vinci, qu’il installera à quelques centaines de mètres du château d’Amboise, au Clos Lucé. Commence alors la période de la Renaissance. Le roi décide de créer un « Cabinet de livres », qui deviendra la bibliothèque royale dont il confie la direction à Guillaume Budé, brillant helléniste également curieux de toutes les sciences.

Agacé par le manque d’innovation de l’université de Paris, la vieille Sorbonne, François 1er entreprend, sur une suggestion de son « Maître de librairie », de constituer un « Collège royal », renommé Collège de France depuis 1795. Le roi engage des « lecteurs royaux » chargés de transmettre un savoir qui n’était enseigné nulle part ailleurs. Ainsi, six lecteurs se partageaient l’enseignement de l’hébreu, du grec et des mathématiques.

Au XVIe siècle, le Collège de France accorde une place prépondérante à la recherche, en parallèle de l’enseignement. Le savoir sera dès lors constamment actualisé, parfois même encore en constitution, favorisant la réactivité. Les chaires sont définies en fonction de l’évolution de la recherche et des découvertes. En 1707, le Collège de France en compte vingt. Il en existe aujourd’hui une cinquantaine. L’actualisation des cours garantit un enseignement adapté en fonction du « progrès réalisé dans tous les domaines de connaissances. »

François 1er souhaitait réunir les meilleurs professeurs afin de pérenniser un enseignement d’excellence, gratuit, et ouvert à tous. Il n’aura pas le temps de voir construire l’établissement. Les « lecteurs royaux » enseignent au début dans les Collèges de Tréguier et de Cambrai. C’est Henri IV qui ordonne le projet de construction de cet édifice unique, à la place des deux collèges, et du collège de Léon de l’Université de Paris. Situé place Marcellin-Berthelot dans le Vème arrondissement de Paris, le Collège de France a été conçu par l’architecte Jean-François Chalgrin et fut achevé en 1778. Il fut rénové en 1998 par les architectes Bernard Huet et Jean-Michel Wilmotte.

L’établissement a pour vocation de transmettre aux élèves l’actualité des recherches réalisées en temps réel dans toutes les matières, des sciences mathématiques physiques et naturelles, aux sciences humaines et sociales. Les cours dispensés sont totalement gratuits et ne décernent aucun diplôme. Ce prestigieux établissement est unique en France et sans équivalent dans le monde. Être titulaire d’une chaire constitue l’une des plus hautes distinctions de l’enseignement supérieur français : de Jean-François Champollion à Pierre Bourdieu, en passant par Emile Benveniste, Raymond Aron et Michel Foucault, l’aura des professeurs est immense.

Des conditions optimales d’enseignement

Au numéro 11 de la place Marcellin Berthelot, au cœur du quartier latin de Paris, se dresse l’imposant bâtiment du Collège de France. A l’instar de l’Ecole Normale Supérieure, rue d’Ulm, on entre ici dans le couvent des clercs. Une fois passée la porte du Collège, le visiteur rencontre une statue représentant J.F Champollion écrasant la tête d’un pharaon, sculptée en 1875 par Auguste Bartholdi, à qui l’on doit également la Statue de la Liberté. Les drapeaux français et européen ornent la devanture du Collège. Une fois dans le hall, la devise du Collège apparaît sur le sol de la mosaïque : Docet omnia, « on enseigne tout. » On croise ici Laënnec, Silvestre de Sacy, l’un légendaire médecin à l’origine du stéthoscope, l’autre célèbre linguiste, philologue et orientaliste-arabisant français. On aperçoit de dos Guillaume Budé, puis Gassendi et Ramus, cette fois de profil.

C’est au sous-sol qu’est installé l’amphithéâtre Marguerite de Navarre, la sœur de François 1er, où dès le début des cours, se rassemble une majorité de têtes chenues. L’auditoire n’est pas de la première jeunesse, mais il est ponctuel, cultivé et assidu. Comme le confie William Marx, titulaire de la chaire de littératures comparées : « Le Collège de France n’est pas une université du troisième âge, ce n’est pas une université du temps libre. Mais le fait est que ce sont souvent les retraités qui ont le plus de temps libre. Dans la littérature, il y a beaucoup de retraités très cultivés qui ont du temps, et c’est bien, mais on aimerait tout de même rajeunir le public. Certains jeunes viennent mais ne représentent clairement pas la majorité en littérature. »

Depuis 2005, le site du Collège de France a accumulé plus de 10 000 cours en ligne. Chaque année, environ 800 heures de vidéo sont enregistrées : cours, colloques et séminaires compris. Le nombre de professeurs fluctuent suivant les années. En 2020-2021, une cinquantaine de professeurs enseignent dans toutes les disciplines au Collège de France. On compte sept chaires internationales, dont notamment l’histoire turque et ottomane et l’histoire globale de la première humanité. Ces chaires sont tenues par des professeurs en poste à l’étranger. Les cinq chaires annuelles sont organisées et actualisées par des professeurs différents chaque année. Les chaires pérennes sont, elles, enseignées et actualisées chaque année par un même professeur titulaire coopté jusqu’à la fin de sa carrière. Elles couvrent deux ensembles de disciplines, les humanités et sciences sociales, d’une part, et les sciences mathématiques, physiques et naturelles, d’autre part.

Être enseignant au Collège de France est un statut enviable. William Marx le concède : « Les conditions de travail sont très confortables, voire luxueuses. Elles me permettent de faire coïncider l’enseignement et la recherche, ce que je ne faisais plus depuis longtemps à l’université. Je donne dix heures de cours, suivies d’une heure de séminaire à chaque fois, et complétées par des conférences à l’étranger ou en France. C’est peu en une année, mais les deux mois où l’on enseigne constituent une période très intense. On ne peut prendre aucun autre engagement sur ce laps de temps. Mes cours au Collège de France sont denses, on est obligé de produire un cours qui soit bien tenu, chacun est une vraie conférence. »

Dans les années 2000, le Collège de France souhaite élargir son audience jusqu’alors exclusivement parisienne. Afin d’être accessible sur l’ensemble du territoire français, dans les pays francophones mais aussi dans le monde entier, la digitalisation des cours est inévitable. C’est la fondation Bettencourt Schueller qui a financé cette transition numérique. Depuis, chaque cours est mis en ligne deux jours seulement après avoir été dispensé.

486 000 vidéos de cours consultées

« La diffusion des leçons sur notre site est devenue un atout du Collège, affirme William Marx. Cette numérisation précoce a permis à l’institution de s’adapter aux différentes situations de confinement à une allure fulgurante. Alors que l’ensemble des cours étaient annulés en mars dernier, dont les miens, nous nous sommes rendus compte que le public était très présent en ligne. Dès lors, le mot d’ordre du Collège a été de maintenir les cours sur place, sans public, avec la meilleure qualité de vidéo possible. » Fin avril, les professeurs retournent ainsi au Collège afin d’enregistrer leurs cours à huis clos, et le nombre de visites sur le site décuple. Selon William Marx : « Le nombre de personnes qui ont téléchargé les vidéos sur le site du Collège de France a augmenté de 69% en comparaison à l’année 2019, puisque 486 000 vidéos ont été consultées. Et il faut ajouter les millions de podcasts sur la chaîne iTunes du Collège et sur France Culture. »

Leçon à huis clos de William Marx, « Le canon et l’oubli ». © Marie Provot

Pourtant, tous ne s’enthousiasment pas pour les cours en visioconférence. Xavier Colas a 73 ans. Doctorant en économie, il suit plusieurs enseignements : « Parmi les 14 ou 15 professeurs que je suis au Collège de France, aucun n’a pu continuer ses cours en présentiel, à l’exception de cette jauge de 10 personnes. J’adore être une éponge mais sitôt que cela devient difficile, et bien, je n’en suis plus une. S’il n’y a pas de cours, si tout est fermé, et bien, je n’assiste plus aux cours. »

Si l’audience bat des records en ligne, les professeurs ne sont guère enchantés à l’idée de donner leurs cours dans un amphithéâtre Marguerite de Navarre vide. Pour Anne Cheng, titulaire de la chaire de l’histoire intellectuelle de la Chine, c’est une épreuve : « Afin de combler le vide et me donner l’impression qu’il y a quelqu’un qui l’écoute, je place un nounours devant moi lorsque j’enregistre mon cours dans l’amphithéâtre », raconte-t-elle à William Marx, qui lui-même confesse avoir observé que son débit de parole s’accélère lorsqu’il donne son cours à huis clos : « Lorsque l’on entend une réaction, on peut développer un peu plus, ou attendre le public. Il y a un jeu d’échange et d’interactions sur place qui n’existe plus. On doit donc produire un peu plus de contenu. »

Depuis la mi-décembre, une jauge de 10 personnes est autorisée. C’est l’unique exception. Tout autre rassemblement est interdit en raison des restrictions sanitaires. « Les manifestations de la vie culturelle du Collège (rencontres, concerts, soirées autour des personnalités du monde culturel) sont à l’arrêt complet », déplore le professeur Pierre-Michel Menger, titulaire de la chaire de sociologie du travail créateur. Le vide autour de soi se ressent lorsqu’il n’est plus possible de déjeuner avec ses collègues, de réaliser des entrevues, ou de laisser libre cours au hasard des choses qui font le sel de la vie et des rencontres. « L’ensemble des projets pour lesquels il est nécessaire de faire des réunions, des ‘brainstorming’ à plusieurs, tout cela a disparu », s’attriste Pierre-Michel Menger.

Fermé au grand public depuis plus d’un an, les professeurs s’impatientent à l’idée de retrouver un jour leur auditoire, assis dans les gradins étagés de l’amphithéâtre Marguerite de Navarre, à l’écoute du cours développé une heure durant. La vénérable institution s’est dotée d’outils à la pointe de la modernité mais l’effervescente énergie qu’apporte un public de 400 personnes devant eux s’est, elle, évaporée.

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