
Depuis la rentrée de septembre, les écoles ont pu reprendre leurs activités. S’il reste difficile d’amener l’offre culturelle aux enfants, des alternatives se sont peu à peu mises en place.
Aller au cinéma en famille le dimanche. Assister à des spectacles vivants à l’école. Aller au théâtre. Lire et emprunter des livres à la bibliothèque. Tout cela n’est tout simplement plus possible pour des milliers de jeunes écoliers, qui ont vu leur panel d’activités culturelles régresser depuis un an. « Avant la crise, on organisait beaucoup d’ateliers culturels, notamment en faisant venir des spectacles à l’école, en allant dans les bibliothèques chaque semaine, les bibliothécaires venaient aussi voir les classes, c’était vraiment stimulant pour les enfants », décrit Catherine Le Roux, enseignante de petite et grande section.
Mais avec les conditions sanitaires actuelles, tout est tombé à l’eau. Alors les enseignants s’adaptent, tentent de créer de nouvelles choses, mais avec le peu de moyens dont dispose l’École, apporter la culture soi-même aux enfants reste périlleux : « Ça manque surtout de dimension, explique Catherine Le Roux, j’essaye de leur montrer des œuvres sur ma tablette, mais ça reste un petit écran, je n’ai pas de TBI (Tableau Numérique Interactif, ndlr). Il y a une vraie carence pour approcher les œuvres au plus près. »
Les restrictions sanitaires ont alors contraint les enseignants à adapter leur programme. Mais les intervenants du spectacle ont, eux aussi, dû s’adapter à leur public et aux nouveaux usages.
Les enfants comme unique public
Dans certains établissements, comme dans les écoles de Montrouge (92), les compagnies de théâtre et de spectacle vivant ont pu continuer à intervenir auprès des enfants de maternelle et primaire. Mais pas sans aménagements de leur part, explique Johanne Teste, comédienne et intervenante auprès d’enfants de 3 à 10 ans : « On nous a demandé de raccourcir un peu nos spectacles, en limitant à 30 minutes. On a également dû repenser nos représentations, parfois à deux comédiens. » Elle tente tout de même de voir les côtés bénéfiques de ces nouvelles pratiques : « Finalement, ça nous a quand même obligé à repenser les formats, développer des idées originales. On a comme projet de proposer des podcasts pour petits et grands, de créer des jeux sonores à réutiliser en classe. » Pour elle, le métier d’artiste repose dans tous les cas sur une nécessité incessante de créer, en fonction des éléments de la vie. La crise sanitaire n’est donc qu’une difficulté comme une autre, à laquelle les artistes doivent s’adapter par un vrai travail sur eux-mêmes.
Grâce au dispositif CHAAS (Classe à Horaires Aménagées Arts de la Scène) mis en place il y a quelques années par l’Éducation nationale et les conservatoires d’arrondissement, Johanne Teste et sa compagnie, l’Ère du temps, ont pu continuer ces interventions, inclues dans le processus scolaire. La crise sanitaire l’a d’ailleurs encouragée à travailler sur ces programmes-là, qui rassemblent du chant, de la danse et du théâtre : « Ça nous a permis d’amener la culture à des enfants qui n’y ont pas accès en temps normal. En tant qu’artiste, on se retrouve vraiment dans ces projets, on dispose d’une vraie liberté, on propose ce que l’on veut aux enseignants », explique-t-elle.
Cette opportunité de renouvellement que peut offrir la crise sanitaire à toute une profession est également perçue par Denis Heude, intervenant au sein de la Compagnie du Chemin : « Cela fait 40 ans que la Compagnie du chemin existe. Nous mettons ce temps de pause à profit pour nous repositionner, créer de nouvelles choses, construire un nouvel équilibre aussi. On a toujours manqué de temps pour le faire. C’est désormais l’occasion. » Depuis février 2020, tout est à l’arrêt pour cette compagnie de Cancale, en Ille-et-Vilaine (35).
À Montrouge, les choses sont différentes. En octobre, alors que la rumeur d’un deuxième confinement commençait à se murmurer en France, la compagnie l’Ère du temps a pu jouer pour 300 enfants dans une salle « parce que la ville avait les moyens et qu’elle n’a pas hésité à les mettre à disposition », salue Johanne Teste. Durant les vacances de Noël et celles de février, la Limone, son autre compagnie de spectacles spécialisée dans l’improvisation, a pu réaliser une semaine de stage dans les centres de loisir, auprès des 3-10 ans, de pré-adolescents et d’adolescents : « Le matin, on faisait des ateliers pour leur apprendre comment bien s’exprimer, se tenir devant un public, devant une caméra. L’après-midi, une équipe de tournage, composée d’un réalisateur et d’un monteur, les formait à l’écriture de scénario, puis à les jouer, résume-t-elle. Ça nous a vraiment ramené ce contact avec les enfants. Il y avait eu un vrai échange avec la ville, donc c’était une vraie bouffée d’air pour eux comme pour nous. »
Catherine Le Roux est également convaincue que cette situation doit être le moyen d’amener encore plus la culture aux enfants. En tant qu’enseignante, elle encourage les établissements scolaires à faire venir plus de spectacles. Elle est consciente que cela représente un coût, « mais comme les autres sorties extérieures sont annulées, on peut transférer les budgets », relève-t-elle. Christine Quaak, ancienne enseignante et désormais psychologue scolaire, va plus loin, en proposant que tous les acteurs de la culture se rapprochent des écoles : « Les musées et les théâtres devraient aussi proposer d’intervenir auprès des enfants. Ce contact est essentiel, et je pense qu’on va ressentir ce manque, mais plus tard peut-être. » Pour elle, d’autres initiatives peuvent être développées, comme celle de la médiathèque de son village, Chailly-en-Bière (77), qui propose une « mallette » : des livres et des œuvres sonores ou vidéo, sur une thématique, en prêt gratuit pour les enfants. Par leur capacité à proposer de multiples supports culturels, les médiathèques doivent jouer un rôle majeur dans la diffusion de la culture, surtout chez les plus jeunes.
Le digital : véritable solution ou simple renfort ?
Depuis l’arrêt brutal du monde de la culture, il y a un an, de nombreux musées ont pu développer des ateliers et des solutions numériques pour apporter la culture au plus près des enfants. Le Musée d’Orsay, le Musée Cernuschi ou encore le Musée en Herbe proposent des visites virtuelles de leurs collections adaptées aux plus jeunes, mais aussi des activités interactives et des jeux en ligne.
Mais malgré le potentiel indéniable du support digital, Christine Quaak déplore : « Même si ces adaptations digitales sont les bienvenues, elles restent toujours accessibles aux mêmes. La fracture numérique n’est pas nouvelle, elle ne s’améliore pas. Donc le support Internet n’est peut-être pas la meilleure solution pour pallier ces manques. » De plus, le monde de la culture reste très varié. Beaucoup d’artistes ne s’imaginent pas transposer leur pratique sur un écran. Ou en tout cas, pas de manière exclusive. Lorsque la mairie de Montrouge a autorisé la mise en place de solutions digitales aux différentes compagnies de spectacles de la ville, « quasiment aucune n’a proposé de déclinaison numérique, explique Johanne Teste. Nous n’avons pas vu l’intérêt, car on vient du spectacle vivant. On a pris cette décision nous-même. » Un parti pris donc, mais qui ne traduit encore une fois pas une aversion pour ce monde dématérialisé. Johanne Teste, comme tous ses collègues, ne s’oppose pas aux nouvelles technologies, au contraire : « Il faut reconnaître que ça permet de faire des choses différentes, on a fait aussi un peu de digital. Mais ce qu’on refuse, c’est de ne pouvoir le faire que sur ce support, qu’on ne nous laisse pas le choix. Le digital doit pouvoir venir en complément, mais les enfants ont besoin de conserver ce lien physique avec nous. »
Du côté de la Compagnie du chemin, Denis Heude voit le numérique comme un nouveau terrain d’expression pour l’échange et la convivialité. Il est conscient que le plaisir de la scène se perd, mais il voit ces bouleversements comme une suite logique à une société qui se réinvente : « Nous continuons à produire du contenu dématérialisé, en DVD, en CD. Les jeunes enfants sont une génération qui va s’épanouir à l’usage de ces nouveaux supports, c’est un élément qui prend déjà une place plus importante, ils peuvent se tourner vers des choses qui les séduisent », conclut-il.
Le manque d’apport culturel à l’école est criant. Bien au-delà de l’aspect intellectuel et de découverte que peut représenter la culture, Christine Quaak la voit surtout comme une appropriation d’un langage, d’une manière de s’exprimer, une sorte de richesse à toute épreuve sociale. Elle qui intervient dans plusieurs établissements scolaires ressent ce « manque de lien évident » entre les enfants : « Ils hurlent pour obtenir quelque chose, ils ne sont pas ouverts à l’échange, à l’éveil, à la curiosité. Les enfants ne sont plus dans la sociabilité, ils s’enferment derrière un écran, ou dans des jeux individuels. »
Si ces changements comportementaux ne s’expliquent pas entièrement par l’absence quasi-totale de culture depuis un an, celle-ci joue sans doute un rôle proéminent dans ce processus de sociabilisation qui façonne un individu dès son plus jeune âge. De quoi donner encore du travail aux acteurs de la culture pour capter ce jeune public, mais aussi aux institutions qui doivent elles aussi trouver de quoi s’adapter aux nouveaux usages.
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