
Une culture confinée, symbole d’idées inexprimées. Une exception culturelle française réduite au silence. Une volonté politique sourde aux revendications de son peuple. Comment se faire entendre lorsqu’on n’a plus les moyens de s’exprimer ?
Vous ne pourrez jamais rien faire sans idées. Alors que les sartriens convaincus se demandent encore si l’existence précède l’essence, il est certain que l’idée précède l’action. Or, qu’est-ce que la culture sinon un paradigme idéologique ? La culture n’est rien d’autre que la somme de toutes les idées immédiatement disponibles. La culture, c’est ce que Michel Foucault appelait « la conduite des conduites », c’est ce qui oriente nos actions dans une direction. Vous ne pourrez effectivement pas faire ce dont vous n’avez pas la moindre idée.
Il est donc intéressant de remarquer qu’en matière de culture, le gouvernement de Jean Castex semble plutôt à court d’idées. Le cabinet américain McKinsey, mandaté par Emmanuel Macron, n’avait visiblement pas réponse à tout. Ils ont beau se connaître depuis 2007, ils ne se sont pas encore tout dit.
Panser le monde
Affirmer que la culture façonne nos modèles politiques n’est pas anodin. Beaucoup s’alarment de son état déplorable, résumé en temps de crise par une bouillie de pixels encore mal maîtrisée par les collectivités territoriales. Une fracture numérique qui ne fait que renforcer les inégalités sociales, autant par le télétravail que par l’éducation. La culture est encore le seul refuge à partir duquel les citoyens peuvent penser le monde, l’idéaliser pour mieux le réparer.
Alors que Jean-Michel Blanquer ne cesse de se ridiculiser sur Twitter en utilisant une chorale d’enfants pour légitimer sa politique approximative, de nombreux acteurs et actrices prennent la parole avec des médecins pour se plaindre de la fermeture des salles de spectacle. Ouvrir les écoles tout en fermant les lieux de culture, c’est affirmer ouvertement qu’un enfant apprendra davantage dans un lieu d’enfermement que par le divertissement et la découverte spontanée. Et encore, après plusieurs mois d’intenses réflexions, il est apparu que les livres sont essentiels à notre vie, qui l’eût cru ?
Peut-être Roselyne Bachelot qui, en l’absence de volonté politique pour soutenir le secteur culturel, utilise à bon escient son temps libre pour sortir un nouveau livre. Après avoir été au centre des critiques lors de la 46ème cérémonie des César, elle a ainsi déclaré au micro de RTL : « Le cinéma, c’est une industrie, culturelle et créative. Les César sont une vitrine pour vendre notre cinéma à l’international. Est-ce que vous voyez l’image que cela a donné ? C’est navrant de voir des artistes piétiner leur outil de travail. »
Heureusement pour les cinéphiles, le cinéma français ne se limite pas aux César. Ce que cette saillie de notre ministre de la culture révèle, c’est l’hégémonie médiatique dont jouit cette cérémonie dans le paysage cinématographique français. Le narratif remplace l’information, l’histoire médiatique des César occulte la culture cinématographique dans son ensemble. Le virus de la culture, c’est l’hégémonie du narratif qui étouffe l’information. L’outil de travail des artistes n’a jamais été les César, bien au contraire. Ils ont besoin d’espaces, de lieux pour s’exprimer et d’inspiration pour créer. Peut-être que notre ministre de la culture devrait, elle aussi, “enfourcher le tigre”.
Journalisme et culture, faits et fictions
L’humain, cet « animal politique » braconné de manifestations en manifestations, souffre maintenant de sa mise en cage. En 2020, de nombreuses alertes fusaient déjà sur une possible « troisième vague psychiatrique ». Alors que l’épidémie ne faiblit pas, la nature de la quatrième vague inquiète déjà. En manque de repères et plongés dans une politique quantique, où l’inverse et son contraire sont possibles en même temps — à l’image du troisième confinement, dont le slogan est « s’aérer pour souffler, se distancier pour se protéger », selon Olivier Véran — les Français se replient sur les médias, en quête de réponses.
Rien d’étonnant à cela, comme l’affirmait Yves Citton dans son ouvrage éponyme, nous ne vivons pas dans une démocratie, mais bien dans une médiarchie. Par le choix des informations qu’ils diffusent autant que par le ton qu’ils prennent, les médias et les journalistes pré-scénarisent des comportements ; ils conduisent les conduites ; ils façonnent la culture. Romaric Godin, journaliste chez Mediapart, explique ainsi sa mission : « La responsabilité du journaliste est de poser les questions qui remettent en cause les évidences présentes dans les discours dominants. » Autrement dit, le journaliste doit faire vivre la culture en faisant émerger de nouveaux discours, en leur laissant une place et une légitimité dans le débat public.
Or, comme le rappelle Ariel Kyrou, auteur du livre Dans les imaginaires du futur : « Nous sommes intriqués dans un univers, dans un monde qui nous influence. En ce sens, l’objectivité n’existe pas, il n’y a que l’honnêteté, c’est-à-dire la reconnaissance de nos biais qui nous pousse vers l’autonomie. » Une analyse valable autant pour le journaliste que pour le citoyen. L’autonomie, c’est se donner à soi-même sa propre loi, c’est s’émanciper de tout contrôle extérieur. Tout lecteur doit être bien conscient que « l’ambition véritable du journaliste est d’orienter les sentiments, les opinions et les choix de son audience vers ce qu’il considère comme la vision la plus juste possible », comme le rappelle Ariel Kyrou.
Le journaliste est un conteur, qui tend vers des faits qui n’existent pas en dehors de ce qu’il raconte. Il est dangereux quand il pense être objectif, croyant détenir la vérité entre ses mains qui peinent pourtant à retenir une interprétation valable. Il nous faut aujourd’hui inventer des contre-fictions, développer des imaginaires nouveaux, loin d’une culture néolibérale dominante qui nous impose ses rêves, ses ambitions et ses échecs. La culture est d’emblée politique, mais elle ne doit jamais rester entre les mains des politiques. La culture est l’expression des multiples volontés qui nous habitent, elle est notre maladie et notre remède, le kaléidoscope qui nous empêche de voir le monde mais qui nous pousse à en chercher la signification. Finalement, museler la culture, c’est prendre le risque qu’une nouvelle vague de contestations fasse irruption après la crise sanitaire.