
Préoccupé par l’avenir de la culture, Jean-Vic Chapus, un homme qui compte dans la presse culturelle, s’interroge sur ce qu’il en restera sans pour autant perdre son optimisme. Depuis plus d’un an, les scènes de concerts sont vides, les musées sans publics et les rideaux ne s’ouvrent plus. La culture s’essouffle.
Après avoir baigné dans un environnement imprégné de culture, Jean-Vic Chapus s’est lancé dans le journalisme. Passionné par la musique, la presse culture est rapidement devenu son terrain de jeu. En transformant le journal de son école en un fanzine musical qu’il vendait lui-même avec un ami, il s’est fait un nom dans le milieu. Un jour, le rédacteur en chef de Rock & Folk a mis la main sur ce fanzine et a voulu rencontrer les deux étudiants.
Aussi passé par R & F, GQ, le fondateur de l’ancien bimestriel Voxpop est devenu rédacteur en chef de SoFilm, avant de reprendre la plume en tant que journaliste pour SoPress. C’est sa curiosité artistique insatiable qui le pousse à se réinviter sans cesse. D’ailleurs, il pense déjà à créer un nouveau pôle Culture qu’il pourrait diriger au sein de Society.
Comment vivez-vous cette pandémie qui cloisonne les lieux de culture depuis plus d’un an ?
Personnellement, très mal. J’ai toujours grandi et vécu dans une ambiance où mes journées et soirées étaient toujours pleines d’imprévus. C’est bien de sortir, et de se dire que l’on n’a rien prévu et que l’on termine à un concert avec des amis avant d’aller à une exposition de nuit parce que quelqu’un nous en aurait parlé.
Le fait de ne pas pouvoir sortir quand l’on veut, de découvrir ce que l’on veut, au rythme que l’on veut, toujours en étant un peu guidé par le hasard, je trouve ça vraiment désagréable.
Privés pendant plus d’un an de cette curiosité artistique, les gens s’habituent à rester chez eux, à être un peu moins curieux, à passer plus de temps sur les écrans. Les militants de la première heure risquent de déserter les rangs au fil du temps.
Et, dans un même temps, je crois que lorsque les gens déferleront de nouveau dans les salles de concerts, dans les salles de cinéma. En un mot, ils auront un rapport beaucoup plus viscéral à la culture et à l’art qu’auparavant. Cet art aurait une place absolument centrale et ne serait plus une occupation parmi mille autres pour les personnes qui s’y intéresseraient. Les gens seront peut-être moins nombreux mais plus impliqués.
Quelle trace durable laissera cette pandémie du coronavirus sur le monde de la culture lorsque nous en sortirons ?
J’ai l’impression qu’il y a un truc bouillonnant qui se prépare comme un fort désir de revivre cette expérience de façon amplifiée. Plusieurs amis artistes, privés d’exercer leurs métiers depuis plus d’un an, ont envie de créer, de produire, d’imposer de nouvelles formes artistiques. Ils ont les crocs plus que jamais.
Plus le temps passe et moins les acteurs de la culture remettent en cause le fait qu’ils sont essentiels à la société comme ils ont pu le faire au départ de cette pandémie. Les occupations des théâtres en témoignent, les artistes sont fatigués et énervés d’être considérés comme « non-essentiels ». Ils cherchent à renverser cette image et veulent prouver qu’ils sont au contraire indispensables à la vie des gens. Il ne faut jamais sous-estimer la colère, surtout lorsqu’elle s’exprime de manière créative.
Que pensez-vous de l’adaptation de la culture au monde virtuel ?
Personnellement, ma consommation de l’art ne peut être sans une expérience de déplacement, de découverte d’un lieu nouveau. Pour moi, l’expérience de la culture, de l’art, c’est quelque chose qui se fait en public, on sent les personnes autour de soi, on rencontre du monde. C’est une expérience collective partagée. J’ai toujours cru au côté un peu politique de la culture et de l’expérience artistique.
Lorsque vous réunissez des gens de plein d’endroits différents, de plein d’origines différentes, de plein de pensées différentes, tous ces gens réunis oublient leurs catégories socio-professionnels et se concentrent ou ne se concentrent pas sur l’œuvre présentée. Des aspects politiques et engagés peuvent aussi ressortir de cette expérience commune.
Pour autant, la culture numérique m’intéresse. J’ai pu assister à plusieurs concerts virtuels qui étaient assez impressionnants techniquement.
Et, n’étant pas du tout élitiste, j’apprécie que la culture soit accessible au plus grand nombre. D’aucuns ne peuvent pas se déplacer sur des lieux culturels pour des raisons de distance, ou encore de prix. Dans ce contexte, la culture virtuelle est essentielle.
Mais n’étant pas adaptable à tous les secteurs, la culture numérique ne pourra remplacer les expériences artistiques physiques.
Avec la pandémie, les concerts et festivals en Live Stream (diffusion en direct) se sont largement développés. Le live stream pourrait-il remplacer les concerts et festivals que l’on connait ?
Dans le secteur musical, j’ai beaucoup de mal à imaginer que des concerts en « live stream » puissent se substituer au concert ou au festival tel qu’on le connait. Selon moi, les « live streams » resteront un complément de l’offre dans le secteur musical.
En concert par exemple, il y a toujours un moment ou je ne regarde plus du tout le groupe ou l’artiste qui est sur scène mais où je regarde le public, et je trouve ça très beau. Il y a ce petit pays indépendant qui se forme le temps d’une soirée que le numérique ne peut pas remplacer. C’est une expérience sociale superbe. Ces derniers s’accompagnent d’émotions, de publics, de foule, de mouvements. Le « live stream » est loin d’égaler cette expérience singulière.
La consommation accrue des films en streaming due en partie à la pandémie, met-elle en danger les créations cinématographiques ?
Sur le front du cinéma, c’est malheureusement peut-être un peu différent. Pour ma part, j’ai diminué ma fréquentation des salles obscures ces dernières années. Les seules fois où je m’y suis rendu, j’ai toujours eu la sensation de voir les mêmes personnes, ou du moins des gens qui se ressemblent beaucoup. J’ai trop souvent l’impression d’être parmi les plus jeunes dans la salle de cinéma et pourtant j’ai passé la quarantaine. Je me demande parfois si le cinéma n’est pas en train de devenir l’endroit des vieux indécrottables cinéphiles.
Ces dernières années, j’ai souvent pris plus de plaisir à regarder certaines séries télévisées qu’en visionnant certains films. Je trouve que la création, la surprise, les jeux d’acteurs, et la réalisation y sont plus aboutis.
Bien avant la pandémie, je me posais déjà la question : Le cinéma m’apporte-t-il réellement une expérience plus singulière que celle que je pourrais avoir chez moi devant mon grand écran ? Malheureusement, je me dis que le cinéma pourrait être remplaçable. Pouvoir mettre en pause, discuter, bouger ou être allongés, sont des atouts indéniables du cinéma chez soi, et les plate formes de streaming l’ont bien saisi.
Comment la presse culture se nourrit-elle alors que le monde de la culture est quasiment à l’arrêt depuis plus d’une année ?
En ce moment, tout le monde fait des dossiers sur des tendances sociétales parce qu’effectivement, il n’y a pas d’actualité. On a aussi de plus en plus de papiers au passé, de films qui ont marqué les esprits. Au sein de SoFilm, on s’en sort bien car on est passés d’un mensuel à un magazine publié tous les deux mois. En parallèle, je travaille aussi sur un potentiel pôle culture que je dirigerais au sein de Society.
Pour SoFilm et pour plein d’autres journaux spécialisés culture, la situation est un peu difficile. C’est une presse particulière qui vit beaucoup des sorties cinéma, des sorties de disques et des sorties de livres. Les éditeurs et boîtes de distribution de cinéma permettent d’assurer la rémunération de cette presse en achetant des publicités. Lorsqu’on perd cette rémunération, c’est la chute libre. Très clairement, si cette situation perdure, la presse culturelle devra trouver une autre économie qui pourrait lui permettre de survivre.