
Ancien ministre de la Culture de François Mitterrand, Jack Lang revient sur ses plus grandes réalisations et expose son « New Deal » proposé au président Macron.
Dans l’inconscient collectif culturel français, Jack Lang reste l’inamovible ministre de la Culture depuis 1981. Après plus de 40 ans d’activité au sein du monde politique et culturel, dont neuf passés rue de Valois, son action est considérable : il est à l’origine du prix unique du livre, de la Fête de la musique et de la décentralisation de la culture à travers la France. Il préside depuis 2013 l’Institut du Monde Arabe (IMA), nous l’y avons rencontré.
Alerte, l’œil vif, affable et souriant, Jack Lang demeure tel qu’on l’imagine : humaniste, bienveillant et d’une immense altitude de pensée. L’ex-ministre distille réflexions et propositions, et esquisse une feuille de route pour ses contemporains. Entretien avec celui qui, à l’instar d’André Malraux, demeure le ministre de la Culture de la Vème République.
Edgard Morin disait : « l’Homme est un être culturel par nature parce qu’il est un être naturel par culture. » Selon vous, dans quelles mesures la culture est-elle indispensable au sein d’une société, fait-elle partie du ciment collectif de cette dernière ?
Une question en amène une autre : qu’est-ce que la culture ? Elle peut être conçue en plusieurs sens dans la langue française : cela peut être la philosophie et l’idéologie qui structurent une société, ses traditions, ses religions, sa langue, son histoire. Ici, on parle donc de culture au sens large, on parle de la culture profonde d’un pays. Dans un autre sens, ce sont aussi les expressions artistiques, qu’il faudrait élargir aux expressions intellectuelles et scientifiques. Personnellement, je n’ai jamais séparé l’art du savoir, de la science, de la philosophie. Cela forme un tout. On ne peut pas couper en deux l’être humain et ses productions imaginatives.
La culture, dans la mesure où elle est constitutive d’une société, est une source d’accomplissement de l’être humain, elle permet l’élévation de son savoir, de sa connaissance du monde, de son bonheur de l’art, sous toutes ses formes. C’est en effet vital, c’est une des raisons pour lesquelles, avec François Mitterrand, nous avions, bien avant son élection en 1981, défini nos ambitions. Le socialisme, c’est d’abord un changement culturel, et dans deux sens : projet de civilisation et transformation du paysage artistique et scientifique.
Vous qui vous êtes toujours caractérisé par votre inventivité, qu’auriez-vous suggéré au président si vous étiez ministre de la Culture durant cette période de crise sans précédent ?
Je lui ai proposé plusieurs choses, je lui ai écrit il y a presque un an, et à sa demande, je l’ai également rencontré. Précisément, je lui ai suggéré de saisir par les cheveux la situation actuelle en entamant une refonte de la politique des arts, de l’éducation, des universités et de la recherche. J’estime qu’il faut enjamber la crise, essayer d’imaginer une toute autre politique, et être révolutionnaires à nouveau. J’ai également évoqué la possibilité de s’inspirer du New Deal de Roosevelt, qui, face à la crise de 1929 aux Etats-Unis, a lui aussi imaginé une politique des arts et de soutien massif aux artistes. Cette entreprise a eu des conséquences très importantes sur l’Amérique, qui est devenue la première puissance culturelle mondiale après la Seconde Guerre mondiale, en partie grâce à l’effort que Roosevelt a consenti dans cette période de crise. Aujourd’hui, je pense qu’il faut rebattre les cartes.
Cette crise doit donc être le point de départ de changements politiques importants ?
C’est un événement qui bouleverse notre pays et le monde entier, et il est pertinent d’observer que les grandes refontes dans la politique des arts, de l’éducation et de la recherche sont intervenues à l’occasion de grands changements politiques. Plusieurs exemples à travers l’Histoire nous le montrent, notamment avec le Front Populaire en 1936, où l’on a révolutionné la politique des arts de l’éducation, des loisirs, du temps, des libertés. La Libération a également constitué un autre moment politique fort lors duquel, pour les arts, des décisions très importantes ont été prises par l’Etat, à l’initiative de Jeanne Laurent, une femme merveilleuse que l’on a quelque peu oubliée aujourd’hui. Elle était sous-directrice au ministère de l’Education nationale et avait pour mission de suivre la question des arts. Elle a beaucoup œuvré pour la décentralisation culturelle, c’est d’ailleurs elle qui a créé le festival d’Avignon. Elle a également nommé Jean Vilar à la tête du Théâtre national populaire (TNP), elle a inventé les centres d’art dramatique nationaux et les a exportés dans de nombreuses villes de France.
Je pense que l’on peut également citer l’accession au pouvoir du général de Gaulle, la crise de 1958, la réforme de la Constitution, et l’installation d’un nouveau régime. Hasard ou nécessité, c’est à ce moment-là que sous l’impulsion d’André Malraux, un réel ministère de la Culture est créé (à l’époque ministère des Affaires culturelles, ndlr). Et s’ensuivent toute une série de mesures, pour la culture, les monuments, etc… Enfin, en 1981, avec l’élection de François Mitterrand, où l’on vit presque un changement de régime, en tout cas un changement politique d’envergure, et donc une nouvelle politique des arts, de l’éducation et de la recherche.
« Cette crise Nous enseigne que nous devons imaginer des changements radicaux »
L’université est également un des sanctuaires de la culture. A votre sens, le gouvernement en fait-il assez pour la préserver ?
Assez, non. Mais hélas, cela ne date pas d’hier. Je trouve que depuis 25 ans, mis à part quelques exceptions, la politique universitaire est faiblarde, tout comme la politique autour de la recherche. On paye d’ailleurs en ce moment le prix de l’insuffisant soutien à des créateurs, des chercheurs, des inventeurs et des équipes de recherche. C’est absurde qu’une Française ayant reçu le prix Nobel de chimie ait dû partir en Allemagne pour l’obtenir, faute de moyens en France. Cela montre que l’on ne donne pas toujours les conditions optimales à nos chercheurs. Encore là, pourquoi ? C’est quelque chose de vital pour un pays, et c’est pour cela que le New Deal dont je rêve porte à la fois sur la culture, l’enseignement supérieur, et la recherche.
Emmanuel Macron est un homme cultivé, qui semble porter une attention particulière à la culture. Selon vous, le président de la République considère-t-il la culture comme vitale et essentielle ?
J’imagine que oui, c’est un homme raffiné, éclairé, lettré, très vif et brillant. Mais je ne sais pas si dans sa philosophie personnelle et profonde, il considère que le rôle de l’Etat est de s’engager pleinement dans cette direction. Par exemple, la loi sur la recherche n’est pas à la hauteur, et surtout, les financements prévus sont reportés aux calendes grecques. C’est une action qui devrait être assurée dès maintenant, car les universités souffrent beaucoup. Je rêverais qu’Emmanuel Macron propose au pays une nouvelle donne, et il le peut. Cette crise nous enseigne que nous devons rebondir fortement et imaginer des changements radicaux, enjamber la crise et renverser la table.
Vous plus personnellement, qu’est-ce que cela vous fait de ne plus pouvoir vous rendre à des concerts, des expositions, aller au théâtre, au cinéma ?
Je ne suis pas à plaindre, car je continue à travailler. A l’Institut du Monde Arabe (IMA), nous imaginons, préparons des événements, comme l’exposition sur les Divas du Monde Arabe, que je visite de temps à autre et qui ouvrira ses portes au public dès que possible. J’ai également eu la possibilité de visiter l’exposition Matisse au centre Pompidou avant qu’il ne soit complètement fermé. Mais je reste évidemment un passionné de cinéma, de théâtre, de musique, et en temps normal, chaque jour je me rends à un spectacle, un concert. Au-delà d’aller voir des spectacles, je veux souligner la culture au sens du projet de civilisation. Ce qu’il nous manque ce sont les rencontres. Nous sommes autant privés des rencontres avec les autres que des spectacles ou des expositions.

Vous le disiez, la culture ce sont également des rencontres, mais au moment où tous les lieux culturels sont fermés, certaines formes d’art s’adaptent au numérique ou au digital. Pensez-vous que cette alternative est utile en cette période, et est-ce une solution viable et une piste de réflexion pour l’avenir de la culture ?
Actuellement, certaines institutions diffusent des concerts, des spectacles ou des conférences, des débats, des rencontres virtuelles avec des écrivains, etc… Dans l’ensemble, c’est une bonne chose, mais cela ne remplace en aucun cas la culture vivante, ce qui ne veut pas dire qu’après le retour à la normale, il faudra oublier les apports du digital. Personnellement, je ne suis pas de cette génération-là, j’aime les contacts physiques et intellectuels directs, mais je reconnais en même temps que le numérique permet beaucoup de choses. C’est une vision absurde que d’opposer les deux. Par exemple, à l’IMA, nous avions organisé une exposition sur les sites endommagés par les terroristes à Palmyre et Alep, en Syrie ou encore à Mossoul, en Irak. A partir de nouvelles technologies, c’est une startup qui a reconstitué l’architecture de ces villes pour pouvoir en faire une exposition.
Vous avez notamment été à l’impulsion d’un certain élargissement de la culture à d’autres formes d’art méprisées, comme la chanson, le rock, le jazz avec la création de nombreux Zéniths, mais aussi le cirque, les arts de rue, voire la mode ou le design. Romain Gary disait que « la culture n’a absolument aucun sens si elle n’est pas un engagement absolu à changer la vie des hommes. Elle ne veut rien dire. C’est une poule de luxe. » Aujourd’hui, dans notre société estimez-vous que l’on considère encore trop la culture dans un champ d’action restreint ?
Aujourd’hui, je crois que les mentalités ont changé. J’ai contribué à ma manière, comme d’autres, à une vision beaucoup plus large, moins sectaire, et décloisonnée, surtout auprès des jeunes générations. Je me souviens d’une époque où j’avais organisé un événement devant le château de Vincennes, mélangeant des artistes de divers genres. Le public était alors venu en nombre, mais certains faisaient état d’une sorte d’intolérance à l’égard d’un genre qui n’était pas le leur. Aujourd’hui, c’est quasiment impensable. Le rock s’est rapproché du rap, la musique électronique s’est ouverte à toute une série d’autres genres musicaux, et c’est réjouissant. Il y a une sorte de métissage des arts, des cultures.
Mais il faut se méfier de quelque chose : au nom du tout culturel, qui m’a parfois été reproché, peut-être à raison, certains démagogues veulent diffuser une culture au rabais, invoquant le peuple. Ce n’est pas ma conception. J’estime que le peuple a droit à la qualité créative la plus élevée, et surtout, plus on vise haut, plus on ratisse large, c’est mon dessein. D’ailleurs, les expériences concrètes le montrent, ce n’est pas en abêtissant ou en vulgarisant que l’on réussit profondément à imprégner une société.
Etes-vous d’accord avec cette citation de Malraux : « la culture c’est purement et simplement la volonté d’y accéder. » Estimez-vous que tout le monde peut accéder à la culture, à condition de le vouloir ?
Je ne sais pas ce que cela veut dire « la volonté », il ne s’agit pas de faire de la culture une sorte de punition, ou encore de récompense pour ceux qui se comportent bien. D’abord, je pense que beaucoup de choses doivent se réaliser à l’école, c’est un de mes grands combats depuis toujours, et lorsque j’étais à l’Education nationale, j’ai réussi à faire adopter un plan de généralisation de l’apprentissage des arts, de l’école maternelle à l’université. Malheureusement, mes successeurs n’ont pas considéré que c’était une donnée importante, et c’est pourtant fondamental. Que l’on permette aux jeunes de pratiquer le théâtre, la musique, le cinéma, les arts, car c’est une source de mille et un bienfaits. La culture est notamment facilitante dans l’apprentissage des mathématiques, de la langue française, de l’Histoire. Je ne comprends pas que les dirigeants ne considèrent pas l’art et la culture comme des fondamentaux de l’école. On les y retrouve encore trop peu.
Il est par exemple important que l’on entretienne la cinéphilie de base, et que l’on fasse connaître aux enfants le bonheur d’une projection de film sur un grand écran, en salle.
« Sans salle de cinéma, il n’y a plus de cinéma. »
Par rapport au monde du cinéma précisément, le streaming sur des plateformes telles que Netflix, Amazon Prime, Disney + est-il un danger pour le monde cinématographique tel qu’on le connait actuellement ? Plus précisément, s’achemine-t-on petit à petit vers la fin du cinéma en salles ?
Pour l’heure, les plateformes de streaming représentent un substitut, mais je ne rêve pas d’une société où le cinéma serait conçu pour une consommation « en chambre ». De même que j’ai considéré par la loi sur le prix du livre que la librairie est la cellule de base d’un système de création littéraire, je pense que la salle de cinéma est le maillon premier de toute la chaîne de l’industrie cinématographique. Sans salle de cinéma, il n’y a plus de cinéma. Certes, on peut être séduit par une diffusion de film ou de série sur Netflix, mais à terme, cela couperait tout le système de relation entre les gens et le cinéma.
Actuellement, les discussions sont ouvertes entre le Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC), les producteurs, distributeurs, Canal +, Netflix et d’autres afin d’arriver à un terrain d’entente. Mais je ne voudrais pas que l’on renonce à l’essentiel de l’esprit des mesures que nous avions prises en notre temps afin de préserver le cinéma français. Dans les années 80, si nous n’avions pas adopté toutes ces mesures, comme la création de l’institut pour le financement du cinéma, la chronologie des médias, l’incitation des télévisions à diffuser des films européens, le cinéma français serait mort, comme c’est le cas pour les cinémas italien, espagnol, allemand ou anglais. Il ne faut pas céder à la facilité.
Jusqu’à récemment, le gouvernement a décrété que les librairies n’étaient pas des commerces « essentiels ». Lorsque vous étiez en poste, grâce à votre loi sur le tarif unique des livres, vous leur aviez permis de continuer à vivre. Selon vous, laisse-t-on aujourd’hui les librairies mourir à petit feu ?
Je ne pense pas. Il y a eu un moment où les autorités ont fermé les librairies, ce qui était scandaleux, et pire encore, cette fermeture s’est faite en accord avec la fédération des libraires. Mais le gouvernement n’a pas commis l’erreur de les fermer à nouveau lors du second confinement, elles sont d’ailleurs ouvertes en ce moment, et connaissent un grand succès. Je ne dirais pas que les libraires sont en grande forme, car c’est un métier difficile, soumis à mille aléas, mais je suis heureux que ces trésors de culture et d’humanité soient préservés aujourd’hui.

La répartition du budget total de la culture est souvent remise en cause pour sa trop grande concentration autour de la région parisienne. Trouvez-vous cette critique légitime, compte tenu de la politique de décentralisation que vous aviez entamée lors de vos mandats ?
Encore une fois, la question doit être posée : le budget de la culture est-il à la hauteur ? Si l’on parle de répartition, encore faut-il que le budget total suive. Or, il s’est érodé d’année en année depuis 20 ou 25 ans. On fait croire qu’il est important car des institutions lui ont été artificiellement rattachées, mais la plupart devraient relever du ministère de la Recherche, je pense notamment à la Cité des Sciences, qui coûte très cher (98,5M€ en 2018, selon des chiffres du ministère de l’Action et des Comptes publics, ndlr). Le ministère de la Culture s’est appauvri. La première exigence, c’est de redonner à ce ministère un minimum d’aisance financière.
Pour la répartition, j’ai constamment entendu cette rengaine, notamment lorsque j’étais en responsabilité. S’il y a bien un sujet sur lequel j’ai agi avec une détermination sans failles, c’est celui de la présence de l’art et de la culture dans tout le pays. Quand je suis arrivé en 1981, on parlait d’un désert culturel français. Je me suis acharné à faire fleurir sur ce désert des centres d’art, des bibliothèques, des salles de cinéma, des orchestres, des écoles de formation partout, parfois même dans des petites villes, des villages, ce qui est un cas unique en Europe. Où que j’aille en France, je sais qu’il y a quelque chose qui est né dans cette époque-là, et qui a fait des petits.
« Personne ne propose de transférer le Louvre à Marseille »
Il en va de même pour le budget alloué des opérateurs de la culture, qui sert notamment pour la rénovation de monuments, ce dernier sert à plus de 70% à l’entretien des édifices de Paris, jusqu’à atteindre 84% pour ceux de l’Île-de-France. Certains parlent d’un patrimoine historique parisien, plutôt que français. Partagez-vous ce constat ?
Quand on discute de chiffres ou de statistiques à ce sujet, on commet des erreurs de vision. Il est vrai qu’une grande partie du budget de la culture est attribuée à des institutions nationales situées à Paris. Mais l’Histoire est comme cela. La Bibliothèque nationale de France (BnF), créée par François 1er, ne se trouve pas à Blois, mais à Paris. Personne ne propose de transférer le Louvre à Marseille, à Grenoble ou ailleurs, même si 40% de ses œuvres sont déposées dans d’autres musées de France. Par ailleurs, le Louvre a proposé la création d’une annexe de son musée à Lens. Le fait est que l’on pourrait prendre les institutions une par une, mais en termes de financement on ne peut pas tout mettre sur le même plan. Les institutions nationales sont évidemment financées à 100% par l’Etat, et je revendique avec fierté de leur avoir redonné les moyens d’exister : le Louvre n’était plus fréquenté, poussiéreux et à l’abandon. Fallait-il le laisser dans l’état où il était ? C’est le plus grand musée du monde, cela ne concerne pas que Paris, mais la France, si ce n’est le monde entier.
Lors de mes discussions avec le ministère des Finances, j’ai toujours distingué le budget normal et le budget extraordinaire, qui impliquait les institutions d’Etat, et notamment les grands travaux. Nous voulions donc éviter que les crédits attribués aux villes soient sacrifiés au profit de dépenses nationales. J’ai toujours tenu à ce que, dans le même temps où l’on augmentait les budgets pour la rénovation des institutions nationales, les budgets alloués aux monuments historiques, aux musées, aux bibliothèques en province le soient encore plus.
Dans l’histoire de la Vème République, vous êtes souvent associé à André Malraux lorsque l’on parle du poste de ministre de la Culture. Comment expliquez-vous que seuls vous et Malraux ayez su entreprendre des changements profonds dans la politique culturelle du pays ?
Pour ce qui est de Malraux, il était surtout aidé par son prestige d’écrivain, de personnalité de la Résistance, et par ses liens avec le général de Gaulle. Grâce à cela, il a pu être le père fondateur de ce ministère de la Culture. Il a d’ailleurs pris quelques bonnes initiatives pour la sauvegarde des quartiers anciens des villes françaises, pour la commande publique à des artistes, pour la création d’orchestres ici et là. Comme pour moi, tout n’était pas parfait, mais j’ai eu la chance d’être lié à un président qui partageait ma vision, et pensait que la culture était une priorité nationale absolue, à tel point que lorsque nous avons connu des crises budgétaires en 1983 et 1993, le budget de la culture a non seulement été préservé, mais aussi augmenté.
Certains ministres ont aussi été oubliés, je pense en particulier à Jacques Duhamel, sous la présidence de Georges Pompidou. Il était un vrai humaniste, il a ouvert les portes du ministère qui, à la fin du mandat de Malraux, étaient closes, car lui-même se refermait quelque peu également. C’était un excellent ministre, qui n’a pas pu tenir longtemps car gagné par la maladie.
Pour les politiques plus récentes, le problème est que les ministres en question ont eu une durée de mandat très courte. Sous la présidence d’Emmanuel Macron, nous en sommes déjà au troisième ministre de la Culture, sous François Hollande, il y en a également eu trois, sous Jacques Chirac, il y en a eu cinq. D’abord, je crois qu’il faut un peu de temps pour entreprendre, même si un ministre se doit d’agir vite, comme nous l’avons fait. Cela prouve surtout que les hautes autorités ne considèrent pas ce domaine comme fondamental. Ils pensent que l’on peut jouer avec les personnes, un jour l’un, un jour l’autre.
Vous estimez que l’on ne prend pas assez le temps de réfléchir à la culture ?
Ce n’est pas seulement le temps. La culture, c’est quelque chose qui se trouve dans les viscères, dans la tête, dans l’âme, dans le cœur. On peut avoir le droit de considérer qu’elle est marginale, que ce n’est pas l’Etat qui doit en donner l’impulsion. C’est une pensée économique, libérale, qu’il faut assumer pleinement. Cela existe dans certains pays : aux Etats-Unis, il n’y a pas ou presque pas de politique fédérale culturelle. En Allemagne, pendant longtemps il n’y en a pas eu du tout, mais désormais ce n’est qu’une esquisse, ce sont plutôt les Länder qui ont cette compétence.
Il n’y a pas de réflexion autour de la culture, parce qu’il n’y a pas d’envie, de désir ; la culture n’est pas ressentie comme vitale, comme « essentielle ». Et pourtant, c’est l’essence même de la vie, l’âme de la vie, l’âme de tout. La culture est essentielle.
