Sergio Borrego. © Paul Malem

La crise sanitaire a jeté de nombreux artistes dans la précarité. En l’absence de galeries où exposer leurs œuvres, les peintres sont l’une des premières catégories d’artistes durement frappés par le coronavirus. Rencontre avec un artiste-peintre typiquement précaire.

Plus de musées. Plus de galeries. Plus de culture. La crise sanitaire asphyxie de nombreux artistes-peintres. « On arrive à un point où, financièrement, on s’en fout. On n’a plus rien à perdre », explique Sergio Borrego, peintre au sein d’un collectif basé à l’espace Albatros. Les cheveux en bataille, la moustache noire et les phalanges tatouées de chiffres, une tasse de café à la main, il contemple ses toiles où mugissent des créatures abstraites. Dans cette usine désaffectée proche de la station Croix-de-Chavaux, à Montreuil, Sergio, bientôt 25 ans, se répartit l’atelier avec quatre autres peintres ainsi qu’un photographe. « Il y a beaucoup d’ateliers différents ici, tu peux avoir des graveurs, des DJs, des concerts… C’est vraiment un lieu de convergence culturel pour Montreuil. » Le rez-de-chaussée de ce hangar est partagé entre Sergio, peintre, Simon Chirat, le photographe, et Paul Gibert, un jeune peintre qui s’inspire du jeu Total War pour ses tableaux. A l’étage supérieur, on trouve Etienne François, spécialisé dans l’huile sur toile de paysages antiques, et Lucas Ryberon, dont le domaine est plus la peinture acrylique. Anciennement une écurie reconvertie en studio de cinéma, puis en usine de métallurgie, les places sont chères et difficiles d’accès dans ce collectif.

Beaucoup de graffeurs sont passés par l’espace Albatros, dont les murs de certains hangars sont recouverts de tags et de portraits géants. Charles Pathé s’en servait en 1907 pour expérimenter de nouveaux appareils de prise de vue ainsi que des pellicules. La FRAC, institut français d’art contemporain, est même intervenue sur le lieu pour le mettre en valeur et le protéger. En tout, ils sont une trentaine d’artistes sur le site. « Le cercle artistique est très fermé. On accorde une place primordiale à l’âge des artistes, à leurs connexions, donc pour le moment c’est impossible de gagner de l’argent en étant peintre, surtout en cette période. » Pour le seul hangar que se partagent ces cinq artistes, ils payent chacun une somme modique (300 euros) pour se répartir dans 200 à 300 mètres carrés.

Besoin d’une culture en présentiel

Originaire de Créteil (Val-de-Marne), Sergio a toujours peint et fait de la sculpture depuis petit. Il a réellement développé sa vocation artistique après avoir séché le bac : « A mon avis, ce n’est pas en faisant des études qu’on développe de l’expérience. J’ai fait un tas de petits boulots, surtout dans la restauration ». Après un passage d’un an à Strasbourg, une ville qu’il a trouvé « artistiquement pauvre », entre 2019 et 2020, Sergio a pu revenir à Paris au plus fort de la crise sanitaire, en novembre 2020. En février 2021, il a également pu exposer ses dessins dans une librairie anarchiste près de Saint-Michel, Un Regard Moderne. D’ailleurs, est-ce toujours possible d’exposer en période de coronavirus ? « C’est possible pour ceux qui ont déjà les deux pieds dans le milieu. » Mais Sergio, qui conserve une situation assez précaire, aurait beaucoup plus à perdre qu’à gagner financièrement si jamais il parvenait à exposer ses œuvres en galerie. Avant la crise sanitaire, après s’être lancé en peinture à l’âge de 20 ans, il ne faisait qu’une marge « très minime. »

Avant la crise liée au coronavirus, Sergio fréquentait beaucoup les musées parisiens. « Quand on est artiste, on est obligé de visiter des musées, de faire des expositions, parce que c’est comme cela que l’inspiration vient. » La mise à l’arrêt du monde culturel lui a fait beaucoup de mal. A Strasbourg, il participait à bon nombre d’expositions, mais cela restait dérisoire par rapport à Paris, ce qui le fera migrer vers la capitale. Dans son atelier de Strasbourg, derrière son ordinateur, il avait organisé une exposition virtuelle qui l’a rapidement fait déchanter : « Il y a quelque chose qui se perd énormément en virtuel, ça me déplaît […] cet aspect numérique et virtuel qui fait irruption dans l’art, c’est très inquiétant. » L’art se déguste avec les yeux. Mais, au vu de la situation, il ne rechigne pas à montrer sa galerie derrière une webcam. C’est selon lui le seul moyen pour garder un fil artistique en période de Covid. L’un des derniers moments où Sergio a physiquement exposé, c’était il y a bientôt un an et demi, Place des Vosges, à Paris. « C’était la petite galerie éphémère de la Dame de Trèfles », le collectif investissant des lieux dont ils ne sont pas propriétaires.

Récolter les miettes

Pour tous les artistes, peintres, sculpteurs, écrivains, ils obtiennent le statut d’artiste-auteur auprès de la Maison des Artistes, ou bien celui d’auto-entrepreneur, en fonction des désavantages que ce dernier statut entraîne. Les aides pour les artistes-auteurs sont minimes. « C’est se tirer une balle dans les deux pieds. » Sergio, lui, a le statut de chômeur. Selon lui, se déclarer en tant qu’artiste-auteur provoquerait des déficits énormes : « Je pompe les aides parce que sans elles je ne pourrais pas produire sur le support dont j’ai besoin. » En plus du chômage avec lequel il finance son matériel, il reçoit des aides supplémentaires depuis la crise du Covid-19, dont les gens « très précaires » bénéficient. « Avec le statut d’artiste, on reçoit si peu d’aides de l’Etat que ça en devient indécent […] tu achètes une baguette de pain avec, c’est tout. Le gouvernement ne respecte pas les artistes. C’est une des raisons pour lesquelles je comptais partir de France. » Sergio caressait l’espoir d’exposer ses œuvres dans les prestigieuses galeries de Londres ou de New York, capitale de l’art contemporain.

Mais la crise du COVID-19 a freiné son enthousiasme. « Cette crise-là te pousse à agir, à faire bouger les choses ». Avec une amie, Lucile, il compte lancer une exposition collective sur Paris, en juin. Ils ont eux-mêmes démarché cinq autres artistes, pour investir « un lieu underground, un hôpital abandonné par exemple. » Même en cas d’un confinement strict annoncé au soir du 31 mars, ils ne reculeront pas. « On arrive à un point où l’on a l’impression que le gouvernement joue aux billes avec sa population. » Selon lui, les artistes ne peuvent plus se permettre d’attendre les directives du Gouvernement pour créer des rencontres autour de l’art. « Confinement ou pas, même dirigés par des singes, on va quand même exposer. »

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