Les intermittents du spectacle rassemblés devant le ministère du Travail, rue de Grenelle, le 25 avril 2016. © Force Ouvrière

« L’année blanche » accordée aux intermittents du spectacle prendra fin en août, mais le troisième confinement condamne ces artistes et techniciens à la plus grande incertitude économique…

Deux milliards d’euros. En septembre dernier, le ministère de la Culture annonçait triomphalement un plan de relance pour le monde de la Culture. Une « réponse massive et globale » selon les termes officiels, censée sauver du gouffre un secteur particulièrement touché par la crise. Selon le Groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs (Gesac), les pertes financières françaises sont estimées à plus de 28 milliards d’euros sur l’année 2020. Pour les professionnels du spectacle, ce sont 740 millions d’euros de masse salariale en moins par rapport à l’année précédente, selon les chiffres d’Audiens, le groupe de protection sociale des professionnels de la Culture. 

Mais la distribution de ce plan de relance n’a pas été jugée satisfaisante. Selon la CGT, seuls 65 millions d’euros ont été dirigés vers les emplois du spectacle vivant, sans être correctement répartis. « Les aides sont allées vers ceux qui en ont le moins besoin, à savoir théâtre subventionné », juge le syndicaliste Joachim Salinger, qui ne remet cependant pas en question la situation compliquée de ce domaine. « Le spectacle vivant privé enregistre une perte financière plus élevée, mais il est plus simple d’aider le secteur subventionné car il est identifié par les caisses d’aides », explique Joachim Salinger. Les grosses structures ont été aidées, mais pas les compagnies et troupes indépendantes. « Le plan de relance aurait été satisfaisant si l’argent était destiné aux salariés », détaille l’acteur Samuel Churin, engagé dans la dénonciation des conditions de vie de ses confrères. Ceux qui ont le moins sont ceux à avoir été les moins accompagnés. « Tout est un problème de fléchage » martèle-t-il.

« On veut des engagements clairs »

Dans son calendrier, annoncé le 31 mars, Emmanuel Macron prévoit une réouverture de « certains lieux de culture » à la mi-mai. Mais après un an de blocage du secteur, le plus important n’est pas de retrouver du public dans les salles de théâtres. Comédien de profession, Joachim Salinger juge qu’il faudrait surtout davantage de moyens : « Évidemment que l’on veut retrouver du monde, mais nous avons principalement besoin d’un meilleur accompagnement du gouvernement », détaille ce représentant syndical de la CGT-Spectacle. Roselyne Bachelot et son ministère de la Culture sont à l’écoute, mais les professionnels attendent « des réponses et des engagements clairs » pour améliorer leur situation.

La reprise de l’activité est difficilement imaginable. Elle ne peut d’ailleurs se faire sans être prévue en amont. Pour une représentation, cinématographie comme théâtrale, il faut entre quatre et six semaines au programmateur pour préparer sa sortie. Mais la programmation est bloquée et les finances deviennent difficilement trouvables. « Personne ne va donner de l’argent pour un projet s’il est impossible de savoir quand il se jouera », reconnaît la metteuse en scène Anne-Sophie Juvenal. Les conséquences de cette crise risquent de se ressentir sur les deux prochaines années. La programmation est bouchée, dans le théâtre comme dans le cinéma : « En septembre, on pouvait occasionnellement répéter, mais sans savoir quand on fera la représentation, c’était assez bizarre comme procédé », poursuit Anne-Sophie.

« Désormais, tout est urgent », juge Joachim Salinger, pour qui la situation des intermittents du spectacle est devenue très préoccupante sur l’année écoulée. De l’artiste au technicien, en passant par le metteur en scène, les professionnels vivaient tous dans une situation d’incertitude. « Tout peut s’arrêter, à tout moment », complète le comédien, avant d’ajouter que ses confrères avaient l’habitude de vivre dans une certaine crainte quant à la préservation de leur emploi. En somme, davantage de doutes et des incertitudes renforcées. Mais avec la crise sanitaire et l’arrêt complet des représentations, la situation s’est aggravée : « De plus en plus de personnes viennent nous demander de l’aide, détaille-t-il au nom de la CGT-Spectacle. Mais nos caisses peinent à se remplir et ne sont pas inépuisables. »

Une nécessaire prolongation de « l’année blanche »

En juin dernier, Emmanuel Macron avait annoncé l’instauration d’une « année blanche » pour les intermittents du spectacle. Avec cette mesure active jusqu’en août 2021, il permettait aux 130 000 personnes concernées de continuer de percevoir leurs indemnisations sans n’avoir réalisé leurs 507 heures réglementaires. « Le principe de l’année blanche était justifié seulement dans le cas où l’activité avait repris en septembre, mais cela n’a pas été le cas », rappelle Joachim Salinger. « Certains intermittents ont pu cumuler quelques heures avant le second confinement, mais c’est insuffisant », explique Anne-Sophie Juvenal, également fondatrice de la compagnie Anticlimax. Si la centaine de milliers d’intermittents du spectacle a pu profiter de « l’année blanche », cela n’a pas été le cas du million d’intermittents de l’emploi, dont font par exemple parties les maîtres d’hôtels. « Ils travaillent dans les mêmes conditions que nous, sont autant fragiles mais n’ont rien obtenu », s’inquiète Samuel Churin. Pour autant, ni extension ni prolongation de « l’année blanche » n’ont été prévues par le gouvernement. « Les choses s’étaient un peu faites au dernier moment en 2020, peut-être que ce troisième confinement fera bouger les choses », espère Anne-Sophie Juvenal. « Le gouvernement tergiverse encore sur le sujet mais ne devrait pas tarder à rendre un rapport », confirme Joachim Salinger.

En plus de l’importante amputation de leurs revenus, les intermittents du spectacle souffrent d’être considérés comme « non-essentiels. » Une dénomination qui a notamment touché le domaine de la culture – les librairies ayant longtemps été considérées ainsi – et qui a un impact moral important. Le 17 mars dernier, le claveciniste François Grenier mettait fin à ses jours. Ses proches avaient raconté par leur suite que l’homme de 39 ans s’inquiétait du non-prolongement de « l’année blanche », qui signifierait la fin de son indépendance financière. « Dans le monde du spectacle, la crise sanitaire peut être un désastre psychologique et social », s’alarme Anne-Sophie Juvenal. Par la division des activités essentielles et de celles qui ne le sont pas, le gouvernement a démontré « n’avoir aucune vision culturelle. Ils ne pensent qu’à l’économie, la Culture n’est qu’un accessoire donc ils n’investissent pas dedans » accuse la metteure en scène, qui ajoute que « tout doit être rentable » dans la logique gouvernementale. Sans réponse de l’Etat, les mouvements de protestation vont s’accroître. « S’ils ne sont pas disposés à nous écouter, le blocage des théâtres va se poursuivre », avertit Samuel Churin.

Le théâtre sortira vraisemblablement meurtri de cette crise. La transition numérique, tentée par plusieurs compagnies, n’a pas eu le succès escompté dans un secteur où le contact humain et le rapport avec le public sont essentiels. Difficile de réaliser un spectacle vivant sans percevoir la réaction complète d’un auditoire masqué. « C’est désagréable de rester masqué dans une salle, j’ai peur que l’on sonne la fin des longs formats théâtraux », regrette Anne-Sophie Juvenal. Mais avant d’imaginer la durée des futures pièces, encore faut-il que le gouvernement aide ceux qui les composent. « Il devrait nous apporter des réponses que nous n’avons pas », assène Joachim Salinger. Toujours dans l’incertitude quant au moment où ils pourront reprendre leurs activités, les intermittents font face à des jours compliqués…

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