
Véritable OVNI de la presse musicale, Le Cri du Coyote est l’un des plus vieux fanzine français, devenu le journal francophone de référence en matière de country music. Entretien avec Jacques Brémond, fondateur du fanzine.
Il y a 34 ans, Jacques Brémond créait, avec ses amis du groupe Coyote 2024, une lettre d’info qui allait devenir quelques années plus tard LE fanzine francophone des musiques américaines, 64 pages d’articles d’une qualité irréprochable, où la passion le dispute à l’érudition. La maquette est d’époque et n’a jamais changé, les lecteurs sont fidèles et exigeants et l’équipe de contributeurs bénévoles continue de produire 4 éditions par an, mines d’informations à propos de musiques US souvent mal connues, comme la Country Music.
Cette musique est pourtant loin des clichés souvent véhiculés par les grands médias : cow-boys, line dance et Stetsons. La musique country est née dans le sud-est des Etats-Unis et s’est ensuite largement répandue au point de gagner une audience nationale dans les années 30, portée par l’essor de la radio et des artistes comme Hank Williams ou Woody Guthrie. Dans les années 50, les premiers instruments électrifiés font leur apparition aux côtés des traditionnels violons, guitares, banjos, mandolines, contrebasses et Dobros. Elvis Presley et Johnny Cash, puis Bob Dylan, puisent dans les racines de la country music l’essentiel de leur son.
Les années soixante seront celles du country rock, popularisé par Neil Young, les Byrds, Buffalo Springfield, Gram Parsons, puis par les « Outlaws » rattachés à la scène d’Austin : Willie Nelson, Waylon Jennings, Johnny Cash et Kris Kristofferson (dont Janis Joplin reprendra le merveilleux « Me and Bobby Mc Gee »), qui fondent The Highwaymen dans les 90’s. La country music ayant largement débordé les frontières des USA et conquis en France un public restreint, mais passionné, il existe de nombreux festivals et une scène vivace, ainsi que l’intemporel « Cri du Coyote »
Comment avez-vous décidé, il y a 34 ans, de créer « Le Cri du Coyote » ?
Jacques Brémond – Des amis à Lyon avaient un groupe qui s’appelait Coyote 2024, qui jouait de la musique américaine. A l’époque, j’écrivais dans une revue de bluegrass, « Back Up ». Ils se sont adressés à moi pour faire des articles et compléter leur newsletter. Au bout d’un an ou deux, ils m’ont demandé si je voulais m’occuper de la revue. J’ai accepté parce que j’avais une double formation : universitaire et en maison d’édition, donc je savais comment cela fonctionnait. J’ai pu développer le journal et, au bout de deux ans, je leur ai dit qu’on allait créer le « meilleur fanzine du monde » (sourire). A l’époque, on était jeunes et pleins d’illusions, et puis on avait envie de parler de toutes les musiques qui nous intéressaient, dont personne ne parlait, ou quasiment pas, ce qui a fait de nous des pionniers sur ce plan. L’autre avantage, c’est d’être en province, donc de s’adresser à des gens qui ont peu de possibilités de rencontrer d’autres musiciens. Nous n’étions reliés que par le courrier et par l’envie de partager ce qu’on découvrait.
A quel moment avez-vous trouvé le titre du journal ?
Je l’ai trouvé par hasard au cours d’une discussion par téléphone avec un membre du groupe Coyote 2024 : Christian Labonne. Je lui ai proposé « Le Cri du Coyote », pour plaisanter, et il l’a conservé. J’ai réalisé un premier croquis, qu’il a aussi gardé. J’ai appris, plusieurs années après, que le mot coyote en argot américain désigne celui qui fait passer aux Etats-Unis les « wet backs », les migrants mexicains illégaux. Je trouvais amusant d’avoir involontairement créé un rapprochement avec notre journal, qui passe de la musique que les médias français ne diffusent pas.
Quand avez-vous commencé à vous installer dans la durée ?
Nous avons pris un rythme de croisière en 1987. Depuis cette année-là, nous restons réguliers. Nous avons démarré avec huit pages, puis 24, puis 28, puis 32, et désormais 64. Nous n’irons pas plus loin, parce que l’agrafeuse n’accepte pas plus (rire). Le souci est de mettre le maximum d’informations sur le minimum de papier. L’écriture est donc très juste et tassée. Nous avons tendance à nous adresser à des gens qui connaissent bien le sujet.
Les liens avec les artistes se font de manière naturelle. Quand nous connaissons un musicien, nous savons avec qui il a enregistré, travaillé, et c’est comme ça qu’on se développe. Nous nous sommes très vite intéressés aux musiciens qui n’étaient pratiquement pas médiatisés en France. C’était donc assez facile de les approcher. Ils étaient toujours étonnés de voir des « petits Français » qui allaient les voir mais c’était sympathique. C’est ce qui nous a permis de nous développer.
Comment arrivez-vous à réunir une équipe de rédaction qui soit aussi riche ?
S’il y a une chose dont je suis fier, ce sont les personnes que j’ai recrutées. Au cours des dernières années, beaucoup de gens ont voulu écrire pour « Le Cri du Coyote». J’ai plus souvent refusé des journalistes amateurs que je n’en ai accepté, pour des raisons de place aussi, car elle est limitée. Le recrutement se fait au feeling, c’est très subjectif. Eric Allart par exemple était plus jeune que moi, et il avait une autre expérience musicale très intéressante.
Il y a une personne que je n’ai encore jamais rencontrée physiquement, d’autres que j’ai retrouvées des années après, et certaines avec qui je communique par courrier. Dominique Fosse, le meilleur spécialiste de bluegrass en France (et auteur de l’article sur le sujet dans le dernier numéro paru), m’a contacté un jour en corrigeant une de mes chroniques. Sa réflexion m’avait intéressé et, depuis, il fait partie de l’équipe. J’ai eu la chance de tomber sur des gens avec un esprit à la fois ouvert, pour accepter la différence, et avec l’envie commune de faire fonctionner le fanzine.
Au début des 90’s, la PAO (Publication Assistée par Ordinateur) arrive, mais vous ne changez pas de maquette, pourquoi ?
Mon avantage est que je ne vends pas en kiosque. J’ai donc une totale liberté pour chaque couverture. Si je fais une couverture comme Rolling Stone ou Rock & Folk, cela n’a aucun intérêt. J’ai toujours pensé que les fanzines étaient les brouillons ou des laboratoires de certains magazines, parce que nous avons cette liberté justement. J’ai eu une seule proposition publicitaire d’un « gros » label. Ils m’avaient contacté afin de mettre ma couverture en couleur et se réservaient ma quatrième de couverture pour une publicité. Mais le contrat ne durait qu’un an. Si au bout de cette période, ils ne voulaient plus travailler avec moi, qu’est-ce que j’aurais dit à mes lecteurs ? La couleur aurait disparu du jour au lendemain. J’ai donc refusé la proposition. C’est pour cela que la maquette est restée identique. Au départ, le noir et blanc était une question pratique d’économie, et de toute façon, les photos des artistes dont nous parlons dans l’histoire de la musique sont très rarement en couleurs ou à des droits de reproduction trop onéreux.
Finalement, les gens se sont habitués à ça. J’ai rencontré des lecteurs à des festivals, en leur demandant s’ils voulaient de la couleur, et personne ne se préoccupait de cela. Ce qui les intéresse, c’est ce qu’il y a dans le journal.
Justement, qui sont vos lecteurs, et comment prenez-vous contact avec eux ?
J’ai proposé plusieurs questionnaires, qui montrent une majorité de lecteurs masculins. Les lecteurs ont en moyenne une cinquantaine d’années, et ceux-ci vieillissent, mais je n’ai pas de données plus précises.
Depuis 2 ou 3 ans, certains lecteurs sont en difficulté, en retraite ou au chômage, et ne peuvent plus payer 30 euros pour un fanzine de country. J’ai donc créé un abonnement moins cher avec une version digitale, qui est une manière de compenser. Je sais que notre fanzine, dans sa forme actuelle, est condamné à terme, parce que les lecteurs vieillissent. Nous parlons d’une musique qui touche un public restreint, et les jeunes ne lisent plus le papier, ils ne jurent plus que par internet. Mais je sais aussi que notre journal est unique, que le lectorat va se réduire, en devenant du coup encore plus passionné. Depuis Noël, certains lecteurs m’envoient des chèques d’abonnement généreux. Cela montre qu’ils tiennent à ce qu’ils aiment.
A terme, envisagez-vous de créer un site web ?
Nous sommes en train de le créer. Il ne sera pas payant, car c’est trop compliqué. Il s’appellera lecriducoyote.fr, et sera ouvert en mai, si tout va bien. Le but est de remplir le site avec ce que l’on n’a pas la place de publier sur le format papier. On discute avec certains rédacteurs pour savoir ce que l’on va poster sur le site et ce qu’on va garder pour le journal. J’aimerais parler principalement des disques, parce qu’on ne peut pas suivre la sortie des disques uniquement avec le format papier. Si un disque sort juste après la sortie d’un numéro, nous sommes obligés d’attendre 3 ou 4 mois pour pouvoir en parler. Une grande majorité de lecteurs n’a plus la patience d’attendre plusieurs mois pour lire une analyse sur un disque. Ce sera une autre façon de travailler.
Bibliographie : Jacques Brémond et Gérard Herzhaft : « Le Guide de la Country Music et du Folk » (Editions Fayard)