La fermeture des cinémas a entraîné la résurgence du mythe du drive-in, mais sa viabilité sur le long terme est difficile à imaginer. ©Pixabay

Il était le symbole de la société de consommation et de l’individualisme américain, à son apogée entre les années 50 et 60. Lors de l’année 2020, le drive-in a réussi à faire valoir ses arguments pour un cinéma défiant les restrictions sanitaires. Malgré tout, considérer ce modèle comme viable reste difficilement envisageable. 

Nous sommes à la fin des années 20, dans la ville de Camden dans le New-Jersey. Richard Hollingshead, alors adolescent, vient d’inventer le premier concept de drive-in, dans son jardin, avec pour seul matériel un projecteur vidéo Kodak, et plusieurs draps blancs étendus entre deux arbres. Les voisins sont séduits, et sont de plus en plus nombreux à s’installer dans leur voiture pour visionner les projections. Le brevet du jeune américain, déposé en 1932, sera officiellement validé en 1933. 

L’explosion de l’industrie automobile profite au concept qui connaît alors une explosion à partir des années 30. Il atteint son âge d’or au sortir de la guerre, entre les années 50 et 60, porté par toute une génération de baby-boomers, qui n’ont qu’une idée en tête : se retrouver seul, en amoureux, loin des parents, face un écran de cinéma. Avec près de 4 000 drive-in actifs durant cette décennie, les zones rurales américaines seront le théâtre de l’expansion de ce concept, accompagné par la naissance de la passion pour Hollywood et ses stars. La guerre est terminée, vivons ! 

Des millions d’Américains vont alors préférer la banquette de leur automobile ou bien la remorque de leur pick-up aux strapontins usés par le temps des salles de cinéma. Le gigantisme américain, unique en son genre, offrira au drive-in une vitrine internationale inégalable, avec des clichés de parking remplis de centaines de véhicules, face à un écran géant. L’image fait rêver, mais l’exportation de ce concept ne prendra pas l’ampleur escomptée ailleurs dans le monde notamment en Europe. Le drive in arrive timidement en France dans les années 60, mais n’arrivera à s’imposer que localement et de manière éphémère, pour finalement disparaître dans les années 80, et laisser sa place au cinéma tel qu’on le connaît aujourd’hui. Le territoire français compte un bon nombre de salles de cinéma, ne laissant aucune place à d’autres espaces de projection. 

La crise sanitaire a rappelé à certains de bons vieux souvenirs. Salles de cinéma fermées, plusieurs établissements ou municipalités ont décidé de relancer de manière temporaire un drive-in made in America. Comme un retour dans le passé, aux plus belles heures du cinéma de plein air. L’autokino en Allemagne connaît une certaine renaissance, avec plus de 40 fréquences radio attribuées en 2020 pour ce genre d’évènement. Que vient faire une fréquence radio dans du cinéma ? Tout simplement car chaque spectateur reçoit le son des films directement via son autoradio. Berlin, Mönchengladbach, Offenbourg, Essen (le plus grand avec une capacité de 1 000 places de parking), de nombreuses villes outre-Rhin s’essayent à ce nouveau genre de cinéma. Aux États-Unis, mère patrie du drive-in, onze sont encore en activité, avec parfois des films à l’affiche dans les salles obscures.  

En France, quelques cinémas tentent de ramener le mythe sur les devants de la scène, en profitant des fermetures des salles noires. À Caen, le cinéma LUX a, dès mars, décidé de se lancer dans ce projet. 

Des drive-in ponctuels en attendant la réouverture des salles

« Dès qu’on a fermé, on a pensé à des solutions alternatives, pour ne pas perdre le contact avec nos spectateurs », affirme Gautier Labrusse, directeur du cinéma d’art et d’essai Le LUX. Plusieurs pistes se présentent à l’équipe du cinéma normand : renforcer leur plateforme de vidéo à la demande Netflux, développer les séances de e-cinéma, mais tout cela reste marginal : « Cela reste du petit écran. Les gens perdent ce rapport avec l’écran de cinéma, où l’on retrouve les cinéphiles », explique Gautier Labrusse. C’est là que l’idée de drive-in émerge. 

Selon Morgane Pondard, gérante du prestataire Cinétoiles : « En 2020, les municipalités ont essayé de faire de nouvelles choses, de proposer une offre culturelle différente, pour permettre de garder le contact entre le cinéma et le public. » Le but reste d’amener quelque chose de nouveau au public, quelque chose qu’il n’a pas l’habitude de voir. « En France, on a tendance à ramener un peu tout ce qui vient des États-Unis », conclut-elle. Ce prestataire, qui offre ses services pour organiser notamment des drive-in depuis dix ans, a pu mesurer les conséquences de la crise sanitaire sur son activité : avant 2020, il organisait près de 20 drive-in par an. L’année dernière, avec la fermeture des salles de cinéma, ce chiffre a doublé. 

Avec ce modèle de « ciné-parc », Cinétoiles, comme le LUX, voit un bon compromis pour faire vivre le cinéma et respecter les gestes barrières. Chacun est dans sa voiture, à bonne distance. Et le LUX a déjà de l’expérience : « On a déjà fait des projections en plein air l’été, même du drive-in, dans l’esprit des années 60. Des communes des alentours nous l’avait demandé, on savait faire. » explique Gautier Labrusse. 

Contrairement à plusieurs autres projets de drive-in qui se développe en France en même temps, le LUX souhaite délocaliser sa billetterie. D’habitude cinéma d’art et d’essai, l’établissement propose cette fois des films d’actualité, ceux qui sont encore à l’affiche. Dans cet esprit de toucher un public diversifié, le LUX ouvre son drive-in au mois de mai. 

À l’ouverture, Gautier Labrusse décrit « un moment particulièrement fort, émouvant même. Les gens ressentaient vraiment ce besoin de voir des films ‘ensemble’. Et puis pour l’équipe du LUX c’était aussi quelque chose de puissant, on retrouvait le public, on se retrouvait nous, autour du cinéma, cela a entraîné une cohésion d’équipe. » À la fin de chaque séance, une manifestation de joie de la part de la foule, à grand renfort de klaxon, d’appels de phare ou encore de portières qui claquent. « Je me souviens de la séance inaugurale, c’était assez spécial et impressionnant de parler à des voitures », plaisante Gautier Labrusse. 

Mais plus qu’un moyen de faire vivre le cinéma en respectant la réglementation, le directeur du LUX décrit ces moments comme « une belle expérience humaine. » Il en a mesuré les effets au fur et à mesure que le drive-in du LUX se remplissait, séance après séance : à la différence des salles obscures, le parking est occupé par un tout nouveau public, qui ne va pas au cinéma en général. « C’est pour cela que je parle d’expérience, justifie Gautier Labrusse. Le public, essentiellement jeune, est venu au drive-in avant tout pour en vivre un. Alors que d’habitude, ils regardent leur film derrière un petit écran, sur une plateforme. Certains ne regardaient même pas de films en temps normal. » 

Des couples, mais aussi des familles se retrouvent alors face à cet écran géant, séparés par une vitre, une portière, en sécurité, tout en profitant d’un moment culturel, sans crainte du virus. Les gens sont dans leur bulle, tout en participant à cette dynamique de groupe. 

L’autre bénéfice de ce genre de projet est qu’il permet de mettre en relation plusieurs acteurs, d’horizons différents. Morgane Pondard explique que plusieurs fois, ils ont pu « échanger avec des collectionneurs de voitures, ou des supermarchés qui veulent offrir leur espace de parking. » Le prestataire reçoit également beaucoup de demandes de municipalités et de cinémas aussi « mais c’est toujours de l’animation plus qu’un véritable projet sur du long terme. »

Une viabilité compliquée à imaginer 

Car faire tenir un drive-in, sur un lieu fixe et sur une période plus ou moins longue, est-ce encore possible en France aujourd’hui ? Malgré l’apparition de nombreux projets dans le même esprit en 2020, comme à Bordeaux, à Crest ou encore aux Herbiers, ils ont tous été organisés de manière éphémère. « Moi, je ne vois pas comment recréer un parc viable, avec ce modèle en tout cas, ajoute Gautier Labrusse, ça ne peut être que ponctuel. » Même son de cloche du côté de Cinétoiles : « Pour un cinéma, je comprends que ça ne paraisse pas viable. Aujourd’hui, un drive-in doit être ponctuel, c’est vraiment de l’événementiel. Nous c’est notre activité toute l’année et on ne fait pas que ça en plus. Ce n’est pas gérable toute l’année, mais de temps en temps », conçoit Morgane Pondard. 

De plus, selon le directeur du LUX, son cinéma a pu construire ce projet car « les distributeurs ont joué le jeu, et qu’on avait de très bon partenaire, on était à budget 0 », se réjouit-il. Mais lorsque la location du matériel entre en jeu, la facture commence à grimper. 

Dans cette période particulière, la tenue de ces événements « exceptionnels » ne s’est pas faite du jour au lendemain. Pour le LUX, il a même fallu une longue période afin que tout soit fait dans les règles. « Le CSA a été très attentif. En temps normal, ils ferment les yeux, puisque ce sont des événements ponctuels, mais pas là. » Le dossier a dû être instruit par la DRAC de Normandie (Direction régionale des Affaires culturelles), puis auprès du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée). Il a également fallu trouver une fréquence de radio auprès du CSA, sur le site concerné. Un véritable parcours du combattant en résumé, mais qui en vaut la peine. 

Il a aussi fallu faire face aux aléas de l’extérieur : « À plusieurs reprises, on a dû annuler les séances car il pleuvait, explique Gautier Labrusse. Avec les essuie-glaces, ce n’est pas l’idéal pour regarder un film. » Autant de contraintes qui rendent la tenue permanente des drive-in quasiment impossible. 

Alors que les salles de cinéma n’ont toujours pas obtenu une clarification de leur avenir, il est primordial pour les établissements cinématographiques de garder contact avec le public. « On s’était promis d’arrêter à la réouverture des salles », déplore Gautier Labrusse. Il ne s’attendait pas à ce qu’un an après, la situation en soit toujours au point mort. Le LUX doit donc sans cesse proposer des idées innovantes pour continuer à faire vivre le 7e art. La dernière en date : un tracteur-in, dans une ferme. Une manière encore plus ludique de concilier territoire et production artistique. 

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