Silvain Gire, directeur d'Arte Radio. © Arte Radio

Le podcast est devenu un rendez-vous quotidien pour 5,8 millions de Français, offrant une infinité de contenus. ARTE Radio, référence pour le format, a profité de la pandémie pour multiplier les projets, entre reportages, témoignages et bruits pas sages. Silvain Gire, co-fondateur d’Arte Radio, témoigne du défi de produire une webradio à l’heure du Covid.

Silvain Gire se définit comme un « vieux garçon », poète maudit à ses débuts. Parti de Lyon à 20 ans dans un état d’esprit nihiliste, il est employé à France Culture grâce à ce qu’il avait à raconter. Entre 1990 et 1994, Silvain Gire occupe le poste de producteur délégué à France Culture. Il réalise des documentaires autour de la musique rock, rap et électro. Il est aussi reporter pour l’émission de Jean Lebrun Culture Matin. Son histoire prend un nouveau tournant quand il devient rédacteur en chef d’Arte Magazine, le bulletin des programmes de la chaîne de télévision Arte. C’est là qu’il apprend l’écriture audiovisuelle : ce qu’est un personnage, un documentaire, un plan. Anciennement producteur délégué à France Culture, Silvain Gire imagine en 2002 le projet de toute une vie : ARTE Radio, devenu un véritable laboratoire sonore.

Le journaliste auteur et producteur n’a peur de rien, si ce n’est de la trace qu’il va laisser. Silvain Gire publie un recueil de nouvelles Johnny est mort aux éditions du Seuil. Son livre est le reflet de ses expériences, ses sentiments. Ce sont dix nouvelles, dix moments de vie spontanés, parsemés d’émotions et de remises en question. À l’image de la ligne éditoriale d’ARTE Radio, et de son bilan de la crise sanitaire : « Tout le monde va mal, tout le monde s’inquiète mais le pire c’est que ça n’arrive pas à se traduire par une action collective. »


Jeanne Guarato : Avez-vous constaté une hausse d’audience depuis un an ?

Silvain Gire : On fait partie des projets culturels à qui la pandémie a beaucoup profité. Comme tous les projets numériques d’Arte, on a constaté côté radio que les gens ont écouté plus de podcasts. Tout a commencé en janvier 2020 car pour la première fois en 18 ans, on a bénéficié de promotions diffusées aux antennes du groupe Arte. Notamment grâce à la nouvelle direction qui soutient énormément le numérique et la radio. Les statistiques ont beaucoup augmenté en avril mais l’audience s’est particulièrement solidifiée en juin 2020 avec le podcast Gardiens de la paix, traitant des policiers fascistes et suprémacistes. Le podcast a cartonné avec 2 millions d’écoute.

Niveau audience, on est à 1,5 millions d’écoute par mois en 2020 donc plus du double de 2019 ! On a senti que les gens avaient besoin qu’on leur raconte une histoire, d’échapper à la réalité. Notre stratégie éditoriale a été de ne pas parler que de la pandémie. Le message c’était aussi de dire : « On ne s’arrête pas de vivre et on a aussi le droit de parler d’autre chose. »

Comment vous êtes-vous adaptés, que s’est-il passé chez Arte Radio depuis la crise sanitaire ?

Dès le départ, on a réagi de manière très dynamique et on a eu le temps d’achever des projets qu’on n’arrivait pas à finir. L’équipe a très bien travaillé. Bizarrement le fait d’être chez moi m’a fait me sentir connecté aux gens, j’ai eu l’impression d’offrir une œuvre utile. On a réussi à adapter nos outils puisqu’on était déjà un projet numérique, conçu pour le web.

Depuis le confinement, nos podcasts ont aussi du succès sur Youtube, sous forme de vidéos sous-titrées ou non. Beaucoup de gens se sont aussi mis à produire du son et du podcast personnel en intérieur en 2020. On l’a constaté sur la fréquentation des audioblogs qui a augmenté l’année dernière.

Cet hiver, on s’est rendu compte que toute la partie intéressante du travail c’est l’humain : de discuter, de se rencontrer. En janvier par contre, on a eu le sentiment de perdre de pied, de ne plus avoir d’esprit de décision, il y avait des tensions dans l’équipe avec des auteurs et autrices sous pression. Il a fallu qu’on se rende compte qu’on allait mal mentalement. Et c’est bien normal puisqu’on a besoin de vie, de respiration, de chaleur, de se toucher.

Le monde culturel doit-il s’adapter au monde virtuel, se tourner vers le numérique ?

Sur la pandémie oui. Par exemple, il y a certaines pièces de théâtre qui ont été visionnées en masse, beaucoup plus que lorsqu’elles sont jouées en salle. Aucune forme d’art ou de média ne remplace un autre, la télévision n’a pas tué la radio.

Il faut imaginer des choses mais il ne faut pas croire que le numérique est la solution à tout. Internet existe et ne va pas disparaitre, la question serait plutôt : qu’est-ce qu’on met dedans ? Les auteurs et le public ont besoin des séances d’écoute publique. On a besoin de faire bloc, on a besoin du collectif.

D’une certaine façon, le podcast a participé à ce que j’ai toujours redouté. Je me suis senti coupable car en tant que pionniers du podcast, on a contribué au fait que les gens restent chacun chez eux, chacun devant leur écran. La promesse du podcast est une écoute immersive, solitaire, intense. Mais j’ai réalisé que ce n’était pas tout à fait vrai car les gens communiquent et échangent à propos de leurs podcasts préférés. Il y a du collectif qui se crée même si j’ai l’impression de participer à l’atomisation de cette société.

Je me suis rendu compte que nos podcasts avaient une forme de chair, d’incarnation, de sensibilité en plus de la qualité de prise de son, du mixage et des voix. Le son redonne de l’existence aux gens. On réalise de vrais documentaires de terrain et pas seulement des émissions de plateau. Donc on remet de la vie, des émotions et des odeurs. On essaie que l’audionumérique bouscule, ait un impact et ne participe pas à cette séparation généralisée.

Récemment, vous avez créé et donné votre voix à un nouveau podcast, Pourquoi je vous raconte, dont le premier épisode s’appelle La Radio est une femme. Le but étant de donner la parole pour dénoncer les injustices. Est-ce un des rôles du podcast ?

Ce qui m’intéresse chez Arte Radio, c’est qu’on se pose des questions, on s’interroge et on donne la parole aux méchants, ce que d’autres podcasts ne font pas. Il faut aller au-delà du politiquement correct. C’est une bonne chose que nos podcasts portent de la chair, des nuances et des contradictions. Car nous sommes des êtres pleins de contradictions, on n’est pas des curés, on n’est pas là pour lire l’Évangile.

On a aussi donné un espace de parole, notamment aux femmes, à ceux qui ont voulu aborder des thématiques bien avant que ce soit à la mode en 2017, bien avant #metoo. Le podcast n’est pas voué à aborder que certains thèmes mais il a réellement permis l’expression d’une sensibilité nouvelle. Les podcasts font bouger la société, il y a des prises de conscience sur des problématiques comme le féminisme qui émergent grâce à ce format.

Sur Arte Radio, ce qui nous tient particulièrement à cœur, c’est de cultiver un « je ». Un je assumé, sincère mais pas exhibitionniste ou narcissique. Depuis 2003, il y a toujours eu ce format du je comme celui d’Assia Diakité, jeune fille de banlieue. Dans le journalisme traditionnel, il était interdit d’utiliser ce pronom personnel. Maintenant, on a compris qu’on pouvait le faire, tout en rendant un travail d’enquête objectif et professionnel. Cette approche permet d’incarner et légitimer un propos.


Silvain Gire se dit « fier des choses qui ne sont pas encore sorties mais qui arrivent. » En cela, il conseille à ses auditeurs de se connecter jeudi prochain pour la sortie du podcast Sur la vie de ma mère de Liz Gomis, jeune femme qui rend hommage à sa mère immigrée. Dans la même veine, de nombreux podcasts sensibles aux minorités voient le jour. Un des plus écoutés (et controversés) du genre : Kiff ta race, podcast de Rokhaya Diallo et Grace Ly, diffusé sur Binge Audio.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici