La musicothérapie met en avant le son comme bagage culturel pour offrir un nouveau support d'expression et de (re)découverte de soi ©Pixabay

Le son peut-il soigner les maux ? C’est en tout cas ce que la musicothérapie s’attache à faire, en mettant l’outil sonore au service du soin. Généralement perçu comme du contenu, le son est en réalité la première nourriture culturelle de l’enfant, avant même qu’il ne voit le monde au grand jour. La musicothérapie fait appel à ce bagage culturel pour améliorer notre perception du monde qui nous entoure.  

Pour comprendre ce qu’est exactement la musicothérapie, il faut avant tout se détacher de l’amalgame souvent fait entre « l’association musique culture santé et musicothérapie. » Pour Émilie Tromeur-Navaresi, musicothérapeute et présidente de la Fédération Française de Musicothérapie, « l’esthétique n’est pas un objectif dans la thérapie, c’est une pratique de soin, de soutien et de rééducation qui utilise avant tout le son comme outil. » Tout objet pouvant produire un son peut alors être investi : un instrument de musique, une chaise, un stylo, et même un corps. « Le son ne se transmet pas que par les vibrations dans l’air mais aussi par conduction osseuse, on peut entendre le son par autre chose que ses oreilles », explique Barbara Souffir, musicothérapeute depuis 10 ans. L’une des plus célèbres percussionnistes du monde, de l’orchestre symphonique de New-York, est sourde. » 

Par un besoin de redonner du sens à la musique, cette ancienne musicienne professionnelle et professeure de chant a décidé d’investir une partie de son temps dans la thérapie par le son : « Quand je partais en tournée, je jouais tous les soirs les mêmes morceaux, j’étais fatiguée la nuit, j’étais vraiment arrivée au bout. Je voulais vraiment me reconnecter à la musique. » Ses pistes de réflexion sont la relation entre les parents et l’enfant, la restauration d’un lien par la culture, et spécifiquement par le son. Tentée depuis longtemps par le milieu hospitalier, elle développe alors une méthode d’éveil musical pour les tout-petits. 

Pour Émilie Tromeur-Navaresi, le cheminement est tout autre. Musicienne dès l’âge de 7 ans, puis semi-professionnelle, elle décide dès ses études post-bac de s’orienter vers la musicothérapie : « J’ai travaillé toute mon adolescence auprès d’un public polyhandicapé, en tant qu’animatrice, et je me rendais compte qu’il y avait des effets au-delà de ce que je pouvais maitriser. Je manquais d’outils d’analyse concrets pour comprendre ce qui se jouait. » Depuis 2008 elle pratique alors la musicothérapie, qu’elle voit comme une triade : le patient, le musicothérapeute et le sonore. Elle insiste sur le fait que ce qu’elle fait « n’est pas un cours de chant » mais bien « une thérapie pour un besoin particulier, comme un trouble du langage ou de l’apprentissage chez l’enfant. » 

Le son, bagage culturel de la première heure

En 2019, la psychanalyste Sophie Marinopoulos préconisait dans un rapport remis au ministère de la Culture que le carnet de santé des enfants consacre une page à l’éveil culturel et artistique, afin d’effectuer également un suivi de la « Santé culturelle », qu’elle mettait en parallèle avec le danger de la « malnutrition culturelle. » Pour Barbara Souffir, cette santé culturelle passe par des liens sains entre les parents et l’enfant, via des activités culturelles après la naissance mais aussi avant : « J’ai beaucoup pratiqué le chant pré-natal, explique-t-elle, car l’acculturation débute pendant la grossesse. » Plus largement que la musique, elle perçoit le son, l’outil de la musicothérapie, comme le premier et seul lien que le fœtus a avec le monde extérieur. Ce n’est pas anodin que le premier sens qui se développe chez le fœtus est l’ouïe. « Il entend la voix de sa mère, les battements de son cœur, sa respiration. Le son est la première matière culturelle absorbée par les tout petits », détaille-t-elle. 

Dans certains cas, la musicothérapie va ramener des patients à des états régressifs, car le musicothérapeute travaille avec la première source de culture que le patient a pu avoir. Pour Dominique Praquin, ancienne musicienne professionnelle et musicothérapeute depuis 10 ans : « Il y a une chose très importante pour les patients, excepté de se rappeler des paroles d’une chanson, ou comment jouer d’un instrument, c’est d’essayer de rester dans leur être profond, ce qui constitue leur culture et en même temps une ouverture sur le monde. » Barbara Souffir explique que le musicothérapeute use de « sons construits, très humains, très élaborés. De la sorte, la musicothérapie remet l’humain dans cet état de réceptacle de sa première nourriture culturelle. » 

Pour cela, le musicothérapeute doit être le plus à l’écoute possible de son patient. « Il faut réussir à être au diapason avec lui », résume Barbara Souffir. Pour Dominique Praquin, « il faut approcher le plus proche possible de la personnalité du patient et utiliser les meilleurs outils pour entrer dans son monde. » Selon l’âge et le tissu culturel du patient, le répertoire et les instruments utilisés ne sont pas les mêmes. Cette adaptation est la base de la musicothérapie. La culture joue alors un rôle majeur dans la thérapie puisque le patient va se raccrocher à tout ce qu’il (re)connaît. 

« J’ai de nombreux exemples concrets, témoigne Dominique Praquin. Par exemple un patient originaire d’Amérique latine a été très touché lorsque je lui ai fait écouter une musique latine. Un autre, qui était un ancien joueur de violon, était très ému lorsque j’ai sorti l’alto devant lui. » La musicothérapie va jouer sur les connaissances et permettre aux patients de retrouver leur identité culturelle pour ensuite « retrouver un lien social par la culture, faire en sorte que ces personnes sentent qu’elles font partie de la société », décrit Dominique Praquin. 

Le son comme vecteur culturel 

Dans les ateliers qu’elle propose lors de séances de groupe, elle diffuse des vidéos qui mettent à l’écran des instruments du monde qu’elle présente, la manière dont ils sont joués. « C’est quelque chose de très vivant puisque nous discutons de la culture de ces pays-là, ça stimule leur curiosité, et la culture se construit avec la curiosité. C’est le moteur de l’être vivant », explique-t-elle. Il y a deux aspects de la culture : celle dans laquelle nous baignons, et celle de tous les savoirs d’échange, qui peuvent compléter notre propre culture. 

Dans le ventre de sa mère, le fœtus entend des bruits blancs, « c’est-à-dire des sons qui ont leur fréquence au même niveau, comme le battement de cœur, la respiration, la digestion de la mère », décrit Barbara Souffir. Elle explique que l’expérience suivante est très souvent vérifiée : lorsque l’on met un nouveau-né dans une voiture ou près d’un aspirateur, il s’endort. « Rien de plus normal, ce sont des bruits blancs, il retrouve quelque chose qu’il connaît », développe-t-elle. La culture pourrait alors être le fait de retrouver quelque chose de soi dans une production, un film, une pièce, un livre, ou une musique. 

Barbara Souffir va plus loin. Pour elle, « la culture en général n’est pas du contenu mais de la connexion, elle permet de connecter les humains entre eux. » Pour Dominique Praquin, la culture est essentiellement politique et est « un outil pour changer le monde, pour s’ouvrir à d’autres choses. » La culture est alors sous-jacente, elle est en chacun des patients, dans leurs souvenirs, leur vécu, et la musicothérapie va permettre de remonter tous ces liens à la surface, et de communiquer. Pour Barbara Souffir, « quand la culture intervient dans la santé, nous ne cherchons pas à ce que les patients deviennent des artistes, mais nous leur offrons un support d’expression différent. »

Par la stimulation culturelle, la musicothérapie engage un processus qui doit conduire à une meilleure expression. Et selon Barbara Souffir, passer par le son n’est pas anodin : « La musique est le seul moyen d’expression universel, où que l’on aille il y aura du son, et c’est pour cela que la musicothérapie peut avoir autant d’effet. » 

Preuve que la culture a un rôle essentiel à jouer dans l’accompagnement des pathologies, de plus en plus de conservatoires et d’écoles de musique ouvrent leurs portes aux musicothérapeutes. Ces interventions ne sont possibles que depuis 2005 et la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. « Il y a quelques années, réaliser des séances de musicothérapie au sein d’un conservatoire n’était pas possible », affirme Émilie Tromeur-Navaresi.

Cette loi garantit l’accessibilité au monde culturel pour les personnes en situation de handicap, comme l’accès à un concert, faire partie d’une chorale ou d’un groupe de musique, et même apprendre à jouer d’un instrument. « Mais avec cette loi, on a oublié d’autres handicaps, moins visibles, comme les troubles du langage, les difficultés psychiques ou les troubles neuronaux », souligne Dominique Praquin. 

La question n’est pas uniquement d’apporter la culture à ces personnes-là, mais la manière dont on peut amener ces personnes dans le milieu culturel. C’est à cet instant que la musicothérapie intervient : « Comment réussir à insérer des personnes différemment valides par des outils de musicothérapie dans un cadre pédagogique ? », s’interroge Dominique Praquin. La musicothérapie va alors remplir une mission d’inclusion, en faisant appel au bagage culturel des patients et leur permettre de se retrouver avec eux-mêmes mais aussi avec les autres. 

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