Le château de Chambord, comme des dizaines d'autres châteaux en bord de Loire, tente de s'adapter aux conditions sanitaires. ©Pixabay

Chambord, Chenonceaux, Blois ou encore Cheverny. Tous ces châteaux n’ont pas rouvert leurs portes depuis le 30 octobre, après une saison 2020 en demi-teinte. Ces monuments du patrimoine culturel français sont les principaux témoins de la Renaissance, et pourtant, leur histoire et leurs secrets sont aujourd’hui enfermés, inaccessibles au public. 

« On peut le dire : l’année dernière a été une année catastrophique pour les Châteaux de la Loire. » Ce constat de Jean-François de Valbray, président de l’Association des Châteaux de la Loire, témoigne à lui seul de la période que traversent depuis un an plusieurs dizaines de châteaux, mondialement connus. Chaque année, le château de Chambord et ses 282 cheminées reçoit près d’un million de visiteurs. Ils sont près de 900 000 à se rendre au château de Chenonceau, haut-lieu des figures féminines de la Renaissance. 

« Nous avons été fermés dès mars 2020, d’un coup. Puis on a eu droit à une courte période durant laquelle le site du château a pu fonctionner, entre juillet et août, ce qui fait une saison très courte », déplore Jean-François De Valbray. Conséquences : une adaptation faite à la hâte afin de respecter toutes les consignes sanitaires. Les formats de visite sont resserrés, les visites guidées sont annulées, de nombreuses pièces sont rendues inaccessibles. « Tout cela a vraiment été monté dans la rapidité, mais on n’avait pas le choix », explique le président de l’Association des Châteaux de la Loire. 

Pour le Château royal de Blois, l’adaptation s’est faite plus en douceur. Dès le 16 mai, le site a rouvert ses portes. Mais le maintien de quelques restrictions comme la limitation des déplacements à cent kilomètres a entraîné une faible fréquentation jusqu’à la fin du mois de juin : « Cela nous a laissé un petit temps d’adaptation, explique Aurélie Foucault, responsable du développement touristique du château. Nous n’avions pas encore tout le matériel sanitaire nécessaire, et le site devait être adapté, donc ça nous a laissé du temps. » 

Tout comme le Château de Montreuil-Bellay, dont Jean-François de Valbray est le propriétaire, le Château royal de Blois a connu une période estivale de juillet à août quasiment similaire à la normale. « Les vacances de la Toussaint ont même été exceptionnelles, on ne s’y attendait pas », se réjouit Aurélie Foucault, signe d’un véritable engouement des Français pour leur patrimoine, malgré l’épidémie de coronavirus. Il faut dire que les sites ont dû mettre en place des moyens supplémentaires pour assurer une sécurité permanente aux visiteurs sur les lieux, sous peine de ne pas pouvoir profiter pleinement des minces fenêtres d’ouverture de l’été. 

Une adaptation rapide mais nécessaire

L’univers digital et les réseaux sociaux se sont aussi mis au service de ces monuments culturels de la France. Les châteaux de Meung-sur-Loire, de Villandry ou encore la forteresse de Chinon ont décidé de se lancer dans la visite virtuelle, afin de faire profiter aux visiteurs enfermés chez eux les merveilles de ces témoins de l’Histoire. Pour Aurélie Foucault, le Château royal de Blois a volontairement pris la décision de ne rien lancer sur le digital : « Nous estimons que le numérique doit être au service du site. Venir dans un château, c’est aussi ressentir l’ambiance qui y règne, visualiser son histoire, et pour cela il doit y avoir de l’interaction physique », justifie Aurélie Foucault. Ce qui n’a pas empêché le château, « très ouvert aux nouvelles technologies » d’investir les réseaux sociaux lors du premier confinement avec des anecdotes historiques ou encore la découverte d’endroits insolites du château. Les visiteurs virtuels sont au rendez-vous, si bien que la Nuit des musées, digitalisée pour l’occasion, a rassemblé près de 30 000 internautes. 

Du côté de Montreuil-Bellay, cette période de mise à l’arrêt a finalement permis de prendre un peu de recul sur l’activité. Il a fallu adapter les systèmes de lecture et audio sur le site du château, « mais sans trop dépenser. » Même si le parc a pu accueillir rapidement des visiteurs, il a fallu aménager le parcours : « Certains passages étroits empêchaient de garantir une totale sécurité des visiteurs, donc il a fallu aménager la circulation », détaille Jean-François de Valbray. Même son de cloche à Blois, où finalement le nouveau parcours de visite, censé être provisoire, a été pérennisé pour devenir définitif.

Beaucoup de ces sites comptaient également sur les visites guidées pour accueillir du mieux possible les visiteurs dans leur découverte des richesses culturelles des lieux. « Les visites guidées ont dû être annulées, explique Jean-François de Valbray, au profit de visites plus libres, et on s’est rendus compte que les gens ont adoré ! Après 2 mois enfermés, ils voulaient avoir de la liberté, sans contraintes d’horaire ou de cycle. » Le personnel sur place s’est alors adapté au goût des visiteurs, en se réinventant et en proposant une autre manière de travailler. « Il fallait créer plus d’événementiel, car les visiteurs attendent ça », conclut Jean-François de Valbray.

À Blois, les visites guidées ont pu reprendre au mois de juillet, d’abord en extérieur par petits groupes, puis en plus petit effectif à l’intérieur. Une jauge de 200 personnes imposée à la réouverture a également obligé la direction à se doter d’outils technologiques : « Une caméra qui contrôlait la température et la jauge a rapidement été installée. Elle permet aussi de signaler ceux qui n’avaient pas de masque », expose Aurélie de Foucault. D’autres outils sont également venus pallier la réduction des visites guidées : l’histopad, cette tablette numérique en 3D, remise dès juillet à tous les visiteurs à l’entrée du château de Blois, « et pour désinfecter le matériel après chaque passage, nous avons fait appel à une petite entreprise située à une trentaine de kilomètres du site », précise Aurélie Foucault. De nouvelles salles ont également pu être aménagées durant cette pause forcée, et intégrées au parcours de visite.  

Pour Fabrice Maret, guide-conférencier au château de Chambord, la mise à disposition du digital pour les visiteurs ne met pas en danger la profession car « on ne peut pas se passer de l’humain pour transmettre du savoir. » Il reconnaît que tout arrêter du jour au lendemain lorsque l’on est habitué à parler tous les jours devant une quarantaine de personnes, « ce n’est pas évident. » Mais lui a voulu positiver, et a vu l’occasion d’aller s’essayer aussi sur le numérique. « Ça permet de garder le moral, et le contact avec les visiteurs », assure Fabrice Maret. Il a lancé sa chaîne Youtube, et a déjà mis en ligne une première vidéo sur l’histoire entre Chambord et Léonard de Vinci. 

Le nouveau protocole sanitaire, nécessaire à l’ouverture des sites, a nécessité une concertation publique, entre les différents châteaux, la préfecture et le président de la région Centre-Val-de-Loire, François Bonneau. « De nombreux sites, dont les 24 grands sites du Val-de-Loire, ont pu établir un cahier des charges commun, avec la même politique, pour que les visiteurs sachent quoi faire lorsqu’ils visitent plusieurs châteaux », détaille Aurélie Foucault. Un travail collaboratif donc, mais qui aujourd’hui ne permet tout de même pas une réouverture : « Nous avons acheté tous les équipements, bouleversé nos conditions de visites, nous sommes est prêts à accueillir les visiteurs avec toutes les prudences, et pourtant les châteaux sont maintenus fermés », déplore Jean-François de Valbray. « Vous n’avez pas plus de risques dans un château que dans un supermarché », ironise Aurélie Foucault. Car ces fermetures de longue durée impactent significativement l’industrie du tourisme de la région, que ce soit pour les châteaux privés ou publics. 

Un impact économique difficile à redresser 

L’année 2020 restera donc une année noire pour les Châteaux de la Loire. Jean-François de Valbray parle d’une perte de près de 40% de visiteurs, soit tout autant de chiffre d’affaires. L’ordre de grandeur est similaire pour le Château royal de Blois, « c’est même une baisse de 47% par rapport à 2019, qui était une très grosse année », conçoit Aurélie Foucault. Malgré cette baisse significative de la fréquentation, « il faut continuer à propager la culture car les Français sont demandeurs », réagit Fabrice Maret.

Mais la perte de recette est réelle, alors que les charges continuent d’être prélevées pour les domaines privés comme le château de Montreuil-Bellay. « C’est une double sanction pour les sites hybrides, relève son propriétaire, car les châteaux qui proposaient aussi de l’hôtellerie ou de la vigne ont ces frais-là à couvrir. » Le personnel a tout de même pu bénéficier du chômage partiel, ce qui permet alors au château de ne payer que la partie travaillée, l’autre étant à la charge de l’État. Un fonds de solidarité a également été lancé, mais n’a pas été ouvert tout de suite aux sites touristiques. « Il y a également eu ce fameux Prêt Garanti par l’État, signale Jean-François de Valbray, mais les Châteaux de la Loire ont été très prudents sur le sujet car il ne s’agit pas de creuser leur propre tombe. »

En tant que mécène, il ne gagne pas sa vie de cette façon. Alors, l’État intervient et vient supporter toute activité qui participe au tourisme ou à la restauration des bâtiments : « L’État et les collectivités territoriales (départements et régions) apportent leur aide aux gros chantiers, ce n’est plus à la portée des investisseurs privés », explique Jean-François de Valbray. Pour lui, l’État a vraiment intérêt à soutenir le maintien de ces châteaux, car c’est une source financière indéniable et des créations d’emplois non-négligeables : « Par exemple, dans les Pays de la Loire, le ministère de la Culture s’engage à hauteur de 40% dans les travaux engagés, et la région à 20%, détaille le président de l’association des Châteaux de la Loire. Le reste peut venir du département, du mécénat, de partenariats, de crowd founding (financement participatif, ndlr), et puis des banques ou de votre poche. » 

Pour Blois, tout est différent. S’agissant d’un domaine public, qui appartient à la ville de Blois, le site n’a reçu aucune aide supplémentaire, exceptées celles de l’État, déjà versées en temps normal. Le personnel, fonctionnaires, a continué à être payé, « et beaucoup sont partis en renfort dans les écoles, ou dans des centres de vaccination », selon Aurélie Foucault. Des travaux ont alors été engagés sur le site, qui n’étaient pas possibles avant avec le public. Alors que le Château royal de Blois reçoit près de 30% de touristes étrangers à l’année, 2020 aura profité à de nombreux Français venus découvrir leur patrimoine : « 88% étaient des touristes français, et 96% d’entre eux ne venaient pas avec des groupes (de visite, ndlr) », précise Aurélie Foucault. Un changement significatif, mais qui témoigne bien d’un constat : les Français sont toujours avides de culture.

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