
Depuis la pandémie de Covid-19, les sites culturels et touristiques sont aussi touchés que les musées. L’abbaye du Mont-Saint-Michel, et la Sémitour Périgord, qui comprend notamment les grottes de Lascaux, sont vides depuis bien trop longtemps, et les responsables de ces lieux historiques n’attendent que la réouverture.
Des ruelles montoises vident, et des grottes périgordiennes uniquement habitées par leurs fresques, voilà ce qui anime les sites culturels de France depuis de nombreuses semaines. En Normandie, une partie de l’abbaye du Mont-Saint-Michel datant du 13ème siècle, nommée la Merveille, est en travaux depuis deux semaines. Ces travaux doivent s’achever en 2023 : ce sont au total 8500m² de la façade, des charpentes, et des couvertures qui seront rénovés.
Les travaux de la Merveille du Mont-Saint-Michel, bien que conséquents, n’ont pas freiné l’affluence, et ne la freineront pas à sa réouverture. Les confinements successifs ont même eu un très léger côté positif, puisque les travaux ont pu être en partie facilités. Emmanuel Villaine, responsable du bureau des informations touristique du Mont-Saint-Michel, explique que « l’hiver, il y a toujours plusieurs aménagements sur le réseau. Récemment, la fibre a été installée dans les rues commerçantes. L’abbaye est aussi actuellement en travaux, mais ce n’est pas censé impacter la visite du site. » Isabelle Le Dorner, chargée de communication au CMN (Centre des Monuments Nationaux) rattachée à l’abbaye, précise que « le chantier était prévu quoi qu’il en soit. Le côté positif du confinement pour ces travaux, c’est la facilité d’acheminement des matériaux de restauration et d’installation de l’échafaudage. Habituellement, l’acheminement des matériaux se fait par héliportage en dehors des horaires d’ouverture. Désormais, les héliportages se font à tout heure. Cela n’accélère pas le projet, cela facilite simplement la logistique. »
Entre chaque confinement, l’abbaye a tout de même pu accueillir le maximum de visiteurs, et les Français ont eu un rôle important pour ne pas totalement faire chuter le Mont. Isabelle Le Dorner le justifie : « Nous avons eu une chute de fréquentation, puisque le public de l’abbaye est principalement étranger, en majorité en provenance du Japon et des Etats-Unis. Fort heureusement, le public français a été au rendez-vous et a en partie compensé cette perte entre les périodes de confinement. » « Entre chaque confinement nous pouvions réouvrir, et notamment l’an passé, lors des week-ends de l’Assomption et de la Pentecôte, nous avons pu accueillir un maximum de monde, abonde Emmanuel Villaine. Le public était en majorité français ou venant d’un pays frontalier, donc belge, allemand ou néerlandais. Il n’y avait pas de clientèle asiatique ou américaine, qui est beaucoup plus présente d’habitude. Les visites par groupes ont aussi dû être annulées. »
La Sémitour Périgord, qui comprend 8 sites culturels et touristiques, accueille habituellement autour de 800 000 visiteurs annuels. En raison des mesures gouvernementales, le site ne peut accueillir de public depuis le 29 octobre. Même entre le deuxième et le troisième confinement, tout est resté fermé. André Barbé, directeur général de la Sémitour, exprime sa frustration: « Les mots du chef de l’Etat et du gouvernement ne sont pas clairs. Nous n’avons pas la même configuration que le Mont-Saint-Michel ou la Dune du Pilat, nos sites sont des ERP (Établissements Recevants du Public), nous sommes donc obligatoirement fermés. »
« Le gouvernement commet une erreur monumentale en pensant que la culture n’est pas essentielle. »
André Barbé, directeur général de la Sémitour
Même si un nombre important de personnes ont pu venir durant les périodes d’ouverture, le personnel de l’abbaye a dû mettre en place certaines restrictions afin de contrer la propagation du virus. Les services de communication de l’abbaye ont également dû s’adapter à des formes numériques : la billetterie en ligne du Mont a été améliorée, et les offres de visite ont été modifiées, en supprimant notamment les offres de groupe. La Sémitour s’est aussi concentrée sur internet, en organisant plusieurs visites en ligne. Pour le présentiel, des jauges aménagées ont été mises en place.
Mais contrairement au Mont Saint-Michel, et même si des investissements étaient déjà prévus pour effectuer certains aménagements, la Sémitour juge le digital comme une simple alternative temporaire. M.Barbé précise : « Ces investissements peuvent être des aménagements d’accès, des commandes d’audio-guide, de la peinture, la rénovation d’une boutique dans un château. Mais surtout, la crise nous a amenés à penser que l’atout numérique n’était pas forcément la bonne solution, il faut revenir à des relations plus humaines, notamment pour les visites guidées. Mais nous sommes prêts et nous pouvons rouvrir à tout moment. »
Et le rôle de l’Etat ?
Malgré la difficulté engendrée par la crise sanitaire, le Mont-Saint-Michel est tout de même resté le monument national le plus visité du réseau CMN en 2020. Certains monuments parisiens comme l’Arc de Triomphe ont beaucoup plus de mal à amortir ces pertes financières et de fréquentations. La Sémitour Périgord a aussi connu un déficit financier, qui a été « considérablement allégé par l’Etat. Etant donné que tout le monde est au chômage partiel, la compensation à hauteur de 20% du chiffre d’affaires mensuel nous aide forcément. Mais l’Etat ne pourra pas le faire indéfiniment », note lucidement André Barbé.
Un immense paradoxe se présente alors : l’Etat aide financièrement une partie de la culture, mais refuse pour l’instant de réouvrir les musées, théâtres, et les sites culturels. André Barbé insiste sur le fait que le gouvernement commet « une erreur monumentale de penser que la culture n’est pas essentielle. Nous faisons partie du lien social qui consomme la culture. » Le directeur général du site périgourdin pointe l’incohérence de la fermeture actuelle des musées et autres lieux culturels alors que, selon lui, aucune propagation du virus ne s’est déclarée pendant les périodes d’entre-confinement : « Si nous avions été un risque, cela se serait caractérisé par des clusters dans ces lieux. Or, ils se sont malheureusement essentiellement concentrés dans les restaurants, dans les lieux où il y a un regroupement, ou des endroits dans lesquels vous êtes obligés d’enlever le masque. Ce n’est le cas dans aucun lieux culturel, nous n’avons aucun risque de propagation. Nous sommes solidaires de ceux qui nous nourrissent, mais nous faisons des métiers différents, qui conduisent à d’autres risques », dénonce-t-il.
Isabelle Le Dorner comprend que le monde de la culture soit « étonné et même agacé lorsque nous pouvons être collés au supermarché alors que nous ne pouvons pas admirer une peinture ou une sculpture. Néanmoins, les décisions ne sont pas faciles à prendre et je n’aimerais pas être à la place de ceux qui les prennent. » Pour le moment, que ce soit l’abbaye du Mont-Saint-Michel ou la Sémitour Périgord, les sites culturels sont fermés et n’attendent plus que le gouvernement annonce la réouverture des lieux de culture. Pour le Mont-Saint-Michel, bien que les travaux n’influeront pas les visites, il ne reviendra réellement à la normale qu’à partir de 2023.