Appréhender le dessin satirique par des outils pédagogiques pour mieux ouvrir le débat. Tel est l’objectif que s’est fixé l’association « Dessinez – Créez – Liberté » depuis 2015. Agathe André était présente à la genèse du projet. Son but : sauver ce véritable patrimoine français qu’est le dessin satirique et lui garantir un avenir dans une démocratie en quête d’un nouveau regard sur elle-même. 

Grande reporter à Charlie Hebdo entre 2003 et 2010, Agathe André parcourt le monde, et se rend là où le conflit l’appelle : Pakistan, Afghanistan, Maroc, mais aussi Venezuela ou Népal. Après une pause médiatique en Guyane, d’où elle commentera en direct le lancement d’Ariane 5, elle revient à ses premiers amours : la radio, à France inter, de 2010 à 2014. 

En 2015, tout bascule. La rédaction de Charlie Hebdo est en deuil, mais il faut coûte que coûte que le journal continue de vivre. Agathe André revient alors prêter main forte à ses anciens collègues, qu’elle ne quittera plus. Elle ressent rapidement le besoin naturel de reconnecter les jeunes générations au dessin de presse, qu’elle considère comme partie intégrante du patrimoine culturel français.  

Lancée dans la foulée des attentats de Charlie Hebdo en janvier de la même année, sous l’impulsion des équipes de Charlie Hebdo et de SOS Racisme, l’association « Dessinez – Créez – Liberté » est née d’une nécessité : recréer impérativement le lien entre la satire et les jeunes générations. Après les terribles événements, la rédaction reçoit plus de 24 000 dessins, d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes.

« Dessinez – Créez – Liberté » propose alors une approche propice au dialogue, à mettre des mots sur des sensations et surtout à stimuler l’esprit critique. Le dessin est perçu comme un support de langage unique, permettant d’aborder tous les sujets d’actualité, mais « avec ses codes, sa grammaire et ses clés de lecture », ajoute Agathe André. 

Comme une réponse à toute une génération qui a su exprimer sa solidarité, sa colère, sa peur, ses doutes, avec une feuille et un crayon un soir de janvier 2015, Agathe André et l’association « Dessinez – Créez – Liberté » offrent à ces jeunes la capacité de lire un dessin et ainsi de continuer à faire vivre l’esprit démocratique dans notre société. 


Vous dites que le dessin de presse nécessite une connivence avec son lecteur et fait appel à des référents communs. Comment peut-on lire un dessin satirique de manière efficace et éclairée ? 

Agathe André – Quand le lecteur est face à un dessin, il y a des étapes méthodologiques pour le lire. Celle de la description est fondamentale. Vient ensuite la recontextualisation pour comprendre à quoi le dessinateur fait référence. Enfin, la troisième étape permet de s’interroger sur ce que veut nous dire le dessinateur. De quel type d’humour use-t-il pour dénoncer, pour ridiculiser ? Une autre étape vient également compléter ce cheminement, c’est celle du positionnement personnel : est-ce que nous sommes d’accord ou pas avec ce dessin ? Et si on ne l’est pas ce n’est pas grave, c’est même normal. 

Il y a quelque chose qui fait qu’un dessin de presse peut être compris par son lecteur, c’est que ce dernier reconnaisse les références communes. Et c’est en ça que c’est un vrai patrimoine culturel. Si on ne reconnaît pas ces symboles communs, effectivement on passe à côté. Le dessin satirique est toujours un commentaire subjectif sur actualité. Le lecteur doit aussi avoir cet appétit pour l’actualité. Il y a beaucoup de dessins qui circulent sur Internet des années après l’actualité concernée, et ça s’est compliqué car il faut retourner à la source. 

La caricature n’est pas nouvelle, elle était déjà présente pendant l’Antiquité, et elle a à chaque fois traversé les époques, au même titre que la peinture ou la sculpture. Doit-on considérer le dessin satirique comme une œuvre d’art avant l’expression d’une opinion ? 

Bien évidemment. Le dessin de presse satirique et la caricature appartiennent au patrimoine culturel avant tout. C’est de la presse. À chaque fois qu’il y a eu des grandes crises sociales, politiques ou religieuses, la caricature a surgi. De l’Antiquité à nos jours, la caricature a repoussé les limites de la censure, du puritanisme, elle est émancipatrice. Le dessin satirique est avant tout une œuvre d’art avant d’être l’expression d’une opinion, et c’est pour cela que c’est un genre très particulier. Certains vont aimer et d’autres détester, comme pour le cubisme par exemple. 

Le dessin satirique est réalisé par un journaliste puisqu’un dessinateur de presse a sa carte de presse, mais aussi par un artiste. Quelle que soit l’actualité ou l’article à illustrer, il y aura toujours un trait personnel et unique, et c’est en ça que c’est une expression artistique et profondément culturelle. Aucun dessinateur ne dessine comme un autre. Au même titre qu’un peintre ou qu’un sculpteur. 

Au même titre que d’autres œuvres culturelles et artistiques, le dessin satirique ne peut donc être censuré en démocratie. Pourquoi créé-t-il autant de débat aujourd’hui ? 

Nous sommes dans une société qui n’a plus aucune autodérision, elle ne reconnaît plus l’ironie, elle confond l’humour noir avec une agression. C’est très problématique, et pour moi ça témoigne d’une société qui est malade. Tout va trop vite aujourd’hui. Il y a une réaction épidermique face au dessin. Il faut prendre le temps de le lire, de le décrire, de l’observer, mais surtout de s’intéresser à quoi il fait référence. Sinon on passe totalement à côté, et on reste sur notre première interprétation qui est souvent fausse. Et c’est pour cela que le dessin appartient entièrement au patrimoine culturel. Car il invoque des références culturelles communes, et on a tendance à les oublier. Le dessin satirique use de sa liberté absolue. La question de la cancel culture est embêtante, car si chacun défend sa petite chapelle, c’est la fin de l’universalisme. Le problème en ce moment est que tout le monde se sent offensé. 

À chaque publication de dessin, les rédactions ont cette crainte d’offenser quelqu’un ou quelque chose. On sent une frilosité ambiante de plus en plus prégnante. Pierre Desproges disait « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. » Est-ce que ce n’est pas encore plus d’actualité aujourd’hui ?

On peut rire de tout, on peut tout caricaturer, mais dans un dessin satirique, rire n’est pas une fin en soi. Il faut interroger la nature du rire : est-ce qu’on rit pour exclure l’autre ? Pour l’inclure ? Est-ce qu’on rit pour mettre à distance ? Ou pour faire réagir ? C’est important d’y réfléchir. L’humour n’est bien souvent pas de la méchanceté mais un pas de côté salutaire pour éviter de tomber dans le pessimisme. 

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