
Malgré des difficultés logistiques comme la pénurie de certaines consoles, le jeu vidéo est certainement un des secteurs culturels qui a le plus bénéficié de la crise sanitaire. Entre jeux mobiles à profusion et consoles plus que prisées, l’industrie vidéoludique sort renforcée et transformée de cette année d’épidémie.
37 millions de gamers en France, dont 5 millions de possesseurs de Nintendo Switch, des chiffres qui témoignent d’un large succès de l’industrie vidéo-ludique dans le pays. Dans le top 20 des sujets de la rubrique Soluces, la moitié concerne des jeux de cette console. Animal Crossing New Horizon, devenu le jeu emblématique, a clairement gagné au concours de circonstances. Sorti le 20 mars 2020 en France, soit au tout début du premier confinement, le jeu est devenu un phénomène mondial avec 26 millions de ventes, dont 7 millions en Europe, entre mars et septembre. Il a singulièrement permis à ses adeptes d’oublier un climat anxiogène.
Pour Alvin Haddadene, responsable de la rubrique Soluces de jeuxvidéo.com, jouer aux jeux vidéo est devenu mainstream, une activité tout à fait normale. Depuis la sortie de la console dont les ventes ont explosé depuis la crise sanitaire, il affirme que « tout ce qu’il se passe avec la Switch est devenu un véritable phénomène. Tout cartonne ! »
Pour Alvin, c’est un beau mélange « d’accessibilité, d’évasion et de jeu social » qui en explique le succès : « On sent aussi un changement de direction du jeu compétitif vers le jeu coopératif. C’est agréable de jouer à Animal Crossing et Among us entre amis. Même sur Fortnite, un jeu plutôt compétitif, on trouve ce côté social où les joueurs attendent leurs amis pour se retrouver en ligne et explorer ensemble. » Selon le rapport annuel du SELL, Syndicat des éditeurs de logiciel de loisir, 36% des joueurs indiquent que le jeu vidéo leur a permis de garder le contact avec leur famille et leurs amis. Pouvoir se connecter – dans les deux sens du terme – avec autrui solidifie le lien social, devenu essentiel depuis un an.
Selon Antonin Thibault, hardcore gamer (joueur passionné, ndlr) qui travaille depuis un an sur son propre jeu indépendant, le confinement a clairement provoqué une nouvelle vague de joueurs qui ne s’étaient jamais intéressés à ce monde : « Mon ex-copine a commencé à jouer à Zelda pendant le premier confinement et des amis m’invitaient à des soirées console… des gens qui n’avaient jamais joué de leur vie ! » Ce qui est nouveau, c’est que la pratique – parfois à outrance – d’un jeu comme Animal Crossing ait été autant relayée sur tous les réseaux, en particulier sur la plateforme Twitch. Notamment par de nombreux influenceurs qui n’étaient pas joueurs à l’origine. En comparaison, Antonin explique « qu’avant, la folie des MMORPG ou même d’un jeu comme Minecraft par exemple était seulement partagée par une communauté beaucoup plus niche, composée d’ultra hardcore gamers. » Et beaucoup se moquaient d’eux…
La recette du succès
Pour Guillaume Fourmond, en mission de support pour Gamekult, la diffusion de jeux vidéos est de plus en plus importante même si le phénomène a commencé au début des années 2000 : « La tendance était déjà ancrée mais peut-être que le Covid l’a accentuée. On devient tous joueur quelque part car le jeu vidéo est partout. » Et ça, l’industrie l’a très bien compris. Dans la production d’un jeu vidéo, il est commun d’avoir au minimum la moitié du budget qui part dans le marketing et la communication. En cela, Alvin donne l’exemple du jeu mobile Coin Master qui a récemment cartonné. Un succès largement influencé par sa promotion sur les réseaux sociaux, en particulier Instagram.
Antonin ajoute que les métiers de l’informatique sont très prisés depuis le confinement. Encore plus lorsqu’il s’agit de développer une application mobile, c’est selon lui « un travail technique relativement accessible et très vite rentable. » Il témoigne d’une augmentation considérable de l’offre de jeux mais se plaint d’une « offre de plus en plus étriquée. C’est toujours le même type de jeu puisque la logique commerciale prédomine et se base sur les tendances. » En clair, le principe de l’offre et de la demande est sans surprise au cœur de l’industrie vidéoludique.
Au mois de mars, les trois jeux ayant généré le plus de revenus sur Google Play au cours du mois de mars étaient Coin Master, Candy Crush Saga et PUBG Mobile. À eux trois, ils cumulent 174,3 millions de dollars de recettes. Pour Alvin, c’est très simple : « Aujourd’hui, tout le monde a un smartphone, donc tout le monde peut jouer aux jeux vidéo. » Et en période de Covid où les sorties extérieures sont limitées, le domaine du divertissement a redoublé d’efforts pour occuper les esprits, dans un monde mis en pause. Pour Guillaume : « Les concurrents des jeux vidéo sont aussi Netflix, Youtube, etc… », puisqu’il y a une guerre de l’attention généralisée. Le plus grand challenge auquel l’industrie des jeux vidéo fait face est de garder ses adeptes mais aussi d’attirer tous les potentiels joueurs. Selon le rapport du SELL, l’ensemble des joueurs a augmenté sa pratique de 32% suite au confinement, plus particulièrement chez les 10-24 ans.
Selon Alvin, la pratique du jeu vidéo s’est clairement démocratisée depuis quelques années. Il se souvient encore de la phrase percutante de Roselyne Bachelot qui avait déclaré haut et fort être « la ministre des jeux vidéo », elle qui jouait plus jeune à Donjons et Dragons. D’autres politiciens comme le député LREM Denis Masséglia ont également soutenu publiquement le milieu du jeu vidéo. La montée en crédibilité de cette industrie lui permet de s’affirmer en tant que pratique culturelle à part entière. Guillaume parle quant à lui d’une meilleure compréhension et d’un meilleur recul sur le domaine : « L’image du jeune gamer boutonneux reclus dans sa chambre est de moins en moins présente. » Un cliché bien dépassé si l’on s’intéresse aux casual gamers (joueurs occasionnels, ndlr), soit le tiers de l’ensemble des joueurs : 58% d’entre eux sont des femmes de plus de 50 ans.