Marikel Lahana by © Claudia Bevillacqua 2021

Le confinement a considérablement perturbé les activités des professionnels de la photo.  Comment réaliser un portrait lorsque le masque couvre les expressions ? La photographe Marikel Lahana espère que l’activité pourra bientôt revenir à la normale.

Originaire de Nice, Marikel Lahana est avant tout passionnée par l’art. Après une formation à l’Ecole des arts décoratifs de Paris, elle s’attache au rapport privilégié avec le sujet, permis par la photographie. « Un privilège avec lequel je me sentais bien » se remémore-t-elle. S’ensuit un Master à l’Ecole nationale supérieure de photographie d’Arles (Bouches-du-Rhône), où elle décroche une « Bourse du Talent » grâce à une série de portraits. Son post-diplôme d’Art Contemporain du Fresnoy, à Tourcoing, lui permet de gagner en visibilité. En parallèle de ses études, elle se lance dans la photographie du spectacle vivant. Elle est aujourd’hui la photographe attitrée de la Péniche La Pop, une salle de création musicale située sur les quais de Seine. Une activité qu’elle poursuit jusqu’à l’arrivée de la pandémie, qui a stoppé tous ses projets en cours.

Membre de l’agence Hans Lucas depuis 2015, Marikel Lahana est auteure de portraits au succès international. Elle a ainsi exposé en Italie, au Canada ou encore en Chine. Depuis un projet réalisé avec la marque de luxe Balenciaga en février 2020, cette photographe vit dans l’attente d’un retour à la normal. Toutes ses expositions ayant été reportées, son travail de post-production photographique touchant à sa fin, Marikel Lahana revient sur les changements imposés par la crise sanitaire.


Comment fait-on pour être photographe en plein confinement ?

Marikel Lahana – Une partie de nos contrats sont annulés. J’ai pu faire un très gros shooting avant le confinement de mars 2020, qui m’a donné un gros travail de post-production sur plus d’un an. J’ai également des enfants dont je me suis occupée, ce qui a retardé mon planning. Mais je suis sur la fin, il ne faudrait pas que la situation dure trop longtemps, sinon ça deviendrait compliqué. La post-prod me permet de continuer à travailler. J’ai eu la chance de faire mon année, bien que mes revenus aient été moins importants. Au lieu d’avoir un calendrier très chargé, il est sans cesse repoussé, tout est au point mort. Pareil pour les expositions, tout est toujours décalé, on ne sait pas quand celles-ci auront lieu. Les photographes qui avaient l’habitude des reportages à l’étranger sont bloqués chez eux, en stand-by, c’est impossible pour eux de continuer actuellement.

L’épidémie a-t-elle changé votre manière de travailler ?

L’épidémie m’a surtout empêché de travailler, encore aujourd’hui. Le masque a un rôle important dans les changements intervenus avec le confinement. J’ai récemment pu réaliser un portrait, j’ai donc été obligée de démasquer la personne. Il n’y a pas de grand intérêt à faire le portrait de quelqu’un avec un masque. On est contraints de garder nos distances. J’ai toujours prôné un enseignement de la photographie où plus on est proche de l’autre, meilleure est l’optique. Ce n’est plus possible. Lorsque je fais des cours, je demande à mes élèves de s’éloigner, alors que c’est à l’opposé de ma pédagogie.

On a vu quelques initiatives de photographes pendant les confinements, allant du portrait au pas de porte, aux photos de famille en visio. Est-ce une façon de réinventer la profession ou juste de la pratiquer lorsqu’il est difficile de sortir ?

Les deux. Le contexte nous oblige à repousser certaines limites, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Mais rien n’empêche de retrouver d’autres pratiques quand tout reviendra à la normale. Faire une photo de famille en visioconférence est une très bonne idée, qui en dit d’ailleurs beaucoup. L’écran est le symbole de notre rapport à l’autre. Faire des photos à travers un ordinateur ou une tablette, se parler à travers, cela a beaucoup de sens dans la période actuelle. C’est une nouvelle forme de rapport, en espérant que l’on puisse retrouver l’ancienne bientôt. On a également vu d’autres choses très intéressantes. Antoine d’Agata a par exemple utilisé une caméra thermique pour montrer la chaleur humaine. On voyait les sujets, à un mètre de distance, qui se distinguaient en fonction de leur température corporelle. Cela faisait écho à ce que nous vivons.

Le confinement a favorisé l’utilisation des écrans mais les appareils photos instantanés ont eu un certain succès pendant l’été 2020. La photo a-t-elle une plus forte symbolique en papier ?

Absolument. Je remarque depuis deux ou trois ans que tout le monde se met à faire de l’argentique (obtention d’une photo par l’exposition de la pellicule à la lumière avant son développement, ndlr). C’est intéressant. Quand j’étais petite, je manipulais les photos, je les touchais. La jeune génération se met vraiment à l’appareil argentique, ils aiment cette manipulation de la photographie et de la pellicule. Ce n’est pas comme un ordinateur où le disque dur peut planter et où on regarde les photos une fois de temps en temps. On ne va pas les regarder aussi souvent que si tu les as physiquement. Je pense que la photographie n’est pas seulement visuelle, elle est également tactile. Mes enfants ont 4 ans mais ils observent aussi la photo avec les mains, en tournant l’image. Quand on va voir une exposition physique, on se rapproche de l’œuvre, on s’en éloigne. En tant qu’artiste, quand on fait une petite image c’est pour que le spectateur vienne à elle, on l’implique. Si l’on met une vitre, on sait qu’il verra son reflet.

Justement, les expositions virtuelles se multiplient. Peut-on apprécier l’art sans le voir de nos propres yeux ?

C’est une bonne chose qu’elles existent. Je pense que l’exposition virtuelle est un très bon outil pour voir à quoi ressemble l’exposition avant d’aller la voir en vrai. Car ce n’est pas l’œuvre en elle-même, mais un bon document, un genre de teaser pratique si on ne peut pas s’y déplacer. Cela va rester après la pandémie, d’autant plus que ça donne envie aux gens de s’y rendre sans qu’ils ne soient habitués au monde de l’art et des expositions culturelles. Ils peuvent franchir le cap après avoir regardé le virtuel. Là, ils se rendront compte qu’on a le choc esthétique seulement lorsqu’on y est en face. L’émotion n’est pas présente à toutes les expositions, mais quand on l’a, on a réussi notre journée.

Comme le monde du spectacle vivant, que vous connaissez bien, celui de la photographie vit des jours compliqués depuis plus d’un an. Comment imaginez-vous la suite ?

Je pense que la photographie va se restructurer, tout en gardant certaines choses, comme les expositions virtuelles. Nous sommes très nombreux, de plus en plus chaque année. Y-a-t-il assez de place pour tout le monde ? Je pense que c’est à chacun de se faire sa place. On ne sait pas comment sera le monde de demain, c’est donc à nous de nous adapter.

Vous êtes également professeure à Sciences Po, comment fait-on pour apprendre la photographie à distance ?

Sciences Po impose quelques cours en présentiel mais j’ai encore beaucoup de distanciel. C’est très compliqué parce qu’ils me montrent leur appareil photo à travers l’écran. Mais je ressens surtout une nette démotivation, liée au fait que l’on ne soit pas en face. En présentiel, les élèves n’ont pas le choix, ils doivent produire. La présence physique impose un respect. Quand on est sur Zoom, il est très facile de déconnecter son attention et son implication dans le cours. Un décrochage est facilement arrivé. Avoir la motivation de sortir seul faire une image, alors que je leur imposais souvent des travaux en duo, ce n’est pas simple. De manière générale, c’est vraiment difficile pour eux de suivre autant de cours en visio. Et je le comprends. J’ai également des étudiants à travers le monde, ce qui permet de discuter de la situation actuelle. Le cours se fait différemment, avec un partage d’expérience qui peut être intéressant. Malheureusement, on s’aperçoit que nous en faisons beaucoup moins à distance, même sur le même nombre d’heures.

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