Jean-Roch de Logivière et Orianne Hidalgo-Laurier. © Sébastien Schneegans

Mouvement est le seul magazine bimestriel consacré à toutes les facettes de la création contemporaine. Reconnue par le microcosme artistique, la revue prend le temps de traiter en profondeur des problématiques de fond.

Mouvement. Le nom du magazine détonne en ces temps figés. Depuis un an, les formes d’art contemporain s’expriment péniblement, étouffées par une dense chape de plomb. Les galeries, musées et autres lieux d’exposition étant fermés, les artistes ne peuvent plus faire passer leurs messages, et ne peuvent organiser des manifestations pour exprimer leur mécontentement. La maladresse évidente des propos de l’exécutif nourrit leur réflexion intime sur leur rôle social : sont-ils essentiels ? Enjoints à « enfourcher le tigre », ils ne peuvent s’y résoudre, épris du désagréable sentiment d’être utilisés à des fins politiques, alors qu’ils demandent simplement de pouvoir exercer dignement leur métier.

Les dix « potes » travaillant dans ce magazine culturel de référence sont bien évidemment au faîte de ces questions. Ils estiment toutefois qu’il ne leur revient pas de porter le discours de la culture. « Notre travail, c’est de comprendre les liens entre la société et ces disciplines. », résume Jean-Roch de Logivière, directeur de publication. Ainsi, les enquêtes menées par le bimestriel – tel que celle sur le racisme dans les arts en France – sont éminemment politiques, mais il n’est guère question de porter des messages frontalement militants.  

Ce point démontre que la ligne éditoriale du magazine a nettement évolué depuis sa fondation, en 1993. Par le biais de ses éditoriaux, Jean-Marc Adolphe positionnait sa revue sur un certain nombre de combats politiques. Il s’y affichait en fervent défenseur du doublement du budget de la culture, vilipendait la politique culturelle du gouvernement Berlusconi en Italie et s’engageait aux côtés du mouvement des intermittents du spectacle. « Nous ne sommes plus des éditorialistes. C’est, à mon sens, ce qui fait notre force. », note Orianne Hidalgo-Laurier, rédactrice en chef adjointe.

C’est, paradoxalement, en se distanciant de l’actualité, de polémiques parfois stériles, que Mouvement a rempli ses pages. Ainsi, lorsque le premier confinement a été décrété, en mars 2020, la direction du magazine en a profité pour publier une enquête sur le bio-art. Ce papier, nourri d’innombrables heures de documentation, questionnait l’expérimentation scientifique comme matière pour les artistes. Son actualité allait être confirmée dès les premiers mois de la crise. La mise à l’arrêt du réseau de distribution en mars – kiosques et librairies – a contribué à sa mise en avant. « On a dû interrompre la publication pendant un numéro. On l’a remplacé par une newsletter bien fouillée. », explique Jean-Roch de Logivière. Le papier sur le bio-art y a figuré en bonne place.

« D’une manière générale, on se rend compte que, si on fait du journalisme qui est déconnecté de l’actualité, il n’est pas déconnecté de l’époque. »

Jean-Roch de Logivière, directeur de la publication

Le travail de desk – traitement d’informations depuis la rédaction – a remplacé les reportages. Il a fallu traiter plus d’actualité « chaude » que d’ordinaire, tout en gardant une ligne directrice : toujours prendre le temps de traiter les sujets. Si les articles étaient en lien avec le Covid, l’angle portait toujours sur des questions sociétales et philosophiques. Les sujets n’étaient ainsi jamais traités superficiellement. La 108e édition de Mouvement, parue en novembre 2020, revenait par exemple sur ce qu’était un cabaret sous couvre-feu, tout en élargissant le domaine de réflexion à une série de questions très intéressantes telles que, pour n’en citer que deux : Y-a-t-il un théâtre post-Covid ? À quoi ressemblerait-il ? La crise a confirmé les intuitions de Jean-Roch de Logivière et Orianne Hidalgo-Laurier. Il leur faut continuer à faire des articles de fond sur des problématiques de fond.

Se distancier du Covid

« On en a maintenant, comme tout le monde, un peu marre de parler du Covid », glisse Jean-Roch de Logivière. « L’idée, c’est de se demander sur quels sujets on pourrait écrire sans employer le mot Covid ? Qu’est-ce qui a une réalité permanente ? », abonde Orianne Hidalgo-Laurier. Mouvement laisse un peu sur le côté l’actualité chaude, et se penche sur de longues enquêtes. Dans la 109e édition (voir ci-contre), la revue publie deux longues enquêtes sur la prise de drogues dans la danse et sur la collection d’œuvres pillées en Afrique.

La 109ème édition de Mouvement

« Cette crise nous a confirmé les intuitions qu’on avait : faire du flux sur le web et encore plus ralentir encore la vitesse sur le print. », précise Jean-Roch de Logivière. En « sortant la tête du guidon pour réfléchir », Mouvement s’inscrit dans le tournant opéré en 2014. Le magazine avait alors été réédité, pour « affirmer plus nettement son orientation internationale et sociétale, en mettant en regard les enjeux esthétiques et les enjeux politiques du monde d’aujourd’hui. »

Ils n’ont pu, à leur grand regret, partir en reportage à l’étranger mais cela ne les empêche pas d’ouvrir la focale sur des sujets d’enquête à l’international. « Ça fait un an qu’on a une quinzaine de sujets internationaux en tête, mais on ne peut, hélas, pas les traiter. », précise Orianne Hidalgo-Laurier.

Fort heureusement, les sujets ne manquent pas en France. Une enquête sur l’utilisation de la culture à des fins politiques par le maire de Perpignan, Louis Aliot, est notamment à paraître dans le prochain numéro. « D’une manière générale, on se rend compte que, si on fait du journalisme qui est déconnecté de l’actualité, il n’est pas déconnecté de l’époque. », relève Jean-Roch de Logivière. C’est exactement ce qui caractérise Mouvement aujourd’hui. La rédaction a pris le pas, depuis 2014, du journalisme d’investigation moderne, qui se développait depuis plusieurs décennies aux Etats-Unis. Les magazines américains de référence – comme The Economist par exemple – ont fait le choix de privilégier le long et lent au court et sensationnel. Mouvement ne publiera ainsi jamais : « Les 5 expositions virtuelles à ne pas manquer. »

La rédaction de Mouvement a profité de cette année pour développer un nouveau site et repenser la périodicité et le format du magazine. À partir de septembre, le magazine sera un trimestriel. « Cette période nous a renforcé dans l’idée de vouloir appliquer du journalisme de fond à la culture. Même quand il n’y a plus d’actualité culturelle, on a encore envie d’écrire des papiers sur la culture. », conclut Jean-Roch de Logivière.

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