L'oeuvre numérique la plus chère au monde, "Everydays The First 5 000 Days", s'est vendue pour environ 60 millions d'euros. © Pixabay

Depuis le début de l’année, le mot NFT, non-fongible tokens (jeton non fongible), revient en boucle dans le monde de l’art et même en dehors. Mais concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Pour comprendre ce monde, il faut apprivoiser un langage assez particulier. Blockchain ou encore cryptomonnaie sont des termes importants à maîtriser pour que ce monde virtuel soit totalement assimilé.

Lundi 22 mars, Jack Dorsey, cofondateur de Twitter, vendait le tout premier tweet de l’histoire pour la somme de 2,9 millions de dollars. Sina Estavi, PDG de Bridge Oracle, a acheté ce tweet via la cryptomonnaie Ether pour un peu plus de 1630 ETH. Mais comment en est-on arrivé à vendre un tweet ? En parallèle de cette vente, une nouvelle forme de monnaie virtuelle apparaissait : le NFT, jeton non fongible. Il signifie un jeton qu’on ne peut pas remplacer ou substituer. 

A l’inverse, un élément fongible a une valeur pouvant être remplacée par un équivalent de même nature, comme le bitcoin par exemple. Les NFT se différencient donc des autres cryptomonnaies sur ce point. Chaque NFT a une valeur précise qui lui est propre. Basée sur une blockchain ERC (Ethereum Request for Comment), un NFT peut être enregistré et échangé comme un Ethereum, la deuxième cryptomonnaie derrière le Bitcoin. 

Le problème principal des NFT, c’est la nécessité. A quoi bon acheter une vidéo à 6,6 millions de dollars, ou encore plus récemment une œuvre numérique vendue pour 69,3 millions de dollars (environ 60 millions d’euros) -un record – alors qu’elles sont disponibles partout sur le net et qu’on peut facilement les télécharger sur internet ? La réponse est simple, pour l’art et la joie de posséder quelque chose d’unique. Sur internet, n’importe quelle image peut être trouvée, téléchargée et même imprimée à tout instant. Mais les personnes qui acquièrent ces œuvres digitales ont une joie, liée à la prétention de posséder la version originale de l’œuvre.

Ce jeton a plusieurs utilités. Il peut servir de certificat pour tout type de bien, qu’il soit réel et numérique. Seul le détenteur de ce NFT peut justifier sa possession. Il peut donc permettre d’authentifier et de justifier un achat, quelque soit le bien acheté. Grâce à la blockchain, chaque NFT est infalsifiable. Jean-Paul Delahaye, mathématicien et informaticien, compare la blockchain à un « très grand cahier, que tout le monde peut lire librement et gratuitement, sur lequel tout le monde peut écrire, mais qui est impossible à effacer et qui est indestructible. » C’est une sorte de banque de données où sont stockées toutes les transactions des cryptomonnaies.

Techniquement, comme de nombreuses cryptomonnaies, un NFT permet d’acheter n’importe quel objet physique. Fabrice Epelboin, enseignant à SciencesPo et membre de l’école Alyra, qui forme des élèves à l’usage de la blockchain, voit à travers les NFT « un intérêt assez restreint, qui permet simplement d’identifier un objet ». Pour lui, cela « ne va pas révolutionner l’art, c’est simplement un coup de buzz qui permettra à certaines personnes de rentrer dans l’histoire, sans rien gagner en plus ». Grégory Raymond, journaliste chez Capital spécialisé dans les cryptomonnaies, est lui moins pessimiste, mais pense tout de même que « les folies observées ces dernières semaines ne dureront qu’un temps », même si « certains artistes qui exploitent réellement les fonctionnalités des NFT devraient pouvoir inventer des nouveaux modèles. Ceux qui numérisent de simples fichiers disparaîtront aussi vite qu’ils sont arrivés. » 

Mais là où les NFT sont le plus intéressants, ce sont pour les actifs numériques. En effet, la possession d’un objet physique est simple, car à partir du moment où il a été acheté, vous le possédez au sens propre. Mais une œuvre numérique, ou même un tweet, sont des biens dont la possession est plus difficile à prouver. Pour Fabrice Epelboin, « les NFT pourront peut-être permettre de régler les histoires de vols et de copies mais, en soit, si une personne achète un PDF ou un jpeg, rien ne lui empêche de l’imprimer ou de l’envoyer à quelqu’un. »

Grâce aux NFT, toute création numérique peut désormais être identifiée et reconnue comme une œuvre unique. C’est d’ailleurs ce qui explique (en partie) la valeur de l’objet, son unicité. Désormais, des vidéos comme des mèmes, peuvent donc être considérées comme des œuvres uniques. Pour l’art, Grégory Raymond voit les NFT comme un apport de « nouveaux modes de financement aux artistes. Ces derniers peuvent ainsi offrir des actifs numériques aux personnes qui apprécient leurs créations, ce qui était plus difficile précédemment car beaucoup fonctionnaient à la commande ou par mécénat. » Justement, Bertrand Flour, artiste numérique à Nantes, ne s’est pas encore mis à cette mode mais compte s’y investir très rapidement. « C’est une évolution logique dans mon métier. Je me penche fortement sur le sujet qui va devenir incontournable dans l’art numérique. A mon échelle, cela va me permettre aux gens d’avoir une meilleure visibilité de mes œuvres, et donc d’augmenter mes bénéfices. »

Quel intérêt en plus de l’art ?

En dehors de l’art, de nombreux autres domaines sont avantageux pour les NFT. Ceux-ci peuvent aussi certifier l’authenticité d’un objet, en plus de sa traçabilité et de son historique. Pour certains, les NFT pourraient être la prochaine évolution de l’ère du jeu vidéo. Un tout nouveau marché serait créé, permettant aussi bien aux joueurs qu’aux éditeurs de gagner beaucoup d’argent. Grégory Raymond cite notamment « les cartes à collectionner de joueurs de football Sorare qui s’échangent en ligne et permettent de défier d’autres joueurs. » Certains objets numériques pourraient devenir de véritables bulles spéculatives, comme cela avait été le cas en 2008 lors de la crise des subprimes.

Néanmoins, point à souligner, un objet numérique ne peut pas physiquement vieillir, on ne sait donc pas si un objet numérique pourrait prendre de la valeur grâce à sa date de création. Outre la valeur monétaire d’un objet, on peut parler de la valeur sentimentale pour un élément numérique. Là aussi, un débat existe puisque celle-ci n’est pas la même qu’avec un objet physique, qu’on peut voir et toucher, contrairement à un objet numérique. Au niveau des jeux vidéos, la possession de biens virtuels va déjà bien plus loin. 

Le jeu The Sandbox met en vente sur la blockchain certaines zones de son territoire. De nombreuses marques se sont empressées de l’investir, comme à chaque fois qu’une nouveauté technologique sort, afin de faire leur publicité. Ce n’est pas le seul mauvais côté des NFT. La plus grande limite, pour le moment, c’est le coût de la blockchain. La blockchain Ethereum est très gourmande en énergie, ce qui rend son passage onéreux. D’un point de vue écologique, économique et éthique, reposer sur une chaîne ERC est un mauvais calcul. A titre de comparaison, si le réseau Bitcoin était un Etat, il serait le 53ème plus gros consommateur d’électricité.

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