
Depuis la vente de l’œuvre numérique de l’artiste américain Beeple pour près de 70 millions de dollars (environ 57 millions d’euros), le marché de l’art numérique est sûrement l’un des moins impactés par la crise du Covid-19. La plupart des tableaux se vendent sur internet, et quelques galeries sont encore ouvertes sur réservation. Petit à petit, l’art numérique commence à remplacer l’art physique.
Bertrand Flour, un doyen de la discipline ayant travaillé pour Apple Computer France dans les années 1990, explique que « le marché de l’art est à 99% orienté sur l’œuvre unique. Les NFT permettent d’identifier les œuvres numériques, c’est donc une démarche que je vais entreprendre. » Antoine Schmitt, artiste travaillant avec la galerie Charlot dans le 3ème arrondissement de Paris, voit simplement cela comme « une manière de vendre un marché. Pour l’instant je ne vends rien sous forme de NFT, mais je commence à y réfléchir même si je suis un peu dubitatif pour le moment. Pour moi, les personnes qui font du trading de cryptomonnaies veulent simplement faire du bénéfice. J’attends donc que cela se calme, et que les personnes qui achètent les œuvres NFT le fassent par passion. Alors je pourrai y réfléchir plus concrètement. »
Pour le moment, la transition se passe petit à petit concernant les cryptomonnaies dans l’art numérique, mais pour la plupart des artistes, cette transition est nécessaire au bon développement des œuvres digitales. Au fil des années, les méthodes de travail de l’art numérique se sont largement développées. Bertrand Flour l’explique très bien : « Avant, des artistes travaillaient dans le domaine de l’ordinateur mais créaient des œuvres informatiques abstraites. Grâce à la micro-informatique, nous sommes rentrés dans le monde de la réalité. Nos outils sont beaucoup plus pointus et cela nous permet d’affiner notre recherche. »
De nombreux logiciels sont maintenant à la disposition des artistes, et chacun peut trouver celui qui correspond le mieux à ses envies et ses attentes. Les possibilités sont tellement grandes que Bertrand Flour voit désormais « le monde de la peinture [comme] obsolète et totalement révolu. » Antoine Schmitt, lui, n’abonde pas complètement dans le même sens : « On fera toujours de la poésie ou de la sculpture. Aucune discipline n’est obsolète. Néanmoins, le côté numérique et le fait que les œuvres soient actives ouvre une nouvelle porte sur l’art. »
En effet, le fait que les œuvres soient actives ouvre une nouvelle porte. « C’est un nouveau moyen d’expression, une nouvelle manière de fabriquer des œuvres, et d’exprimer, d’étudier et de questionner des sujets. », explique Antoine Schmitt. Pour certains, l’art numérique peut être considéré comme un art nouveau. L’artiste de la galerie Charlot comprend cette perception : « C’est un art nouveau, même si des artistes numériques existent depuis les années 70 mais, au regard de l’histoire de l’art, il y a vraiment une nouveauté. »
Des nouvelles galeries numériques
Désormais, même les galeries commencent à se tourner vers ce mode de fonctionnement. La galerie Charlot, pour laquelle Antoine Schmitt travaille, affiche des tableaux numériques et des vidéos sur des écrans. Désormais, la galerie située dans le 3ème arrondissement est fermée en raison des restrictions sanitaires. La galerie Charlot a pratiquement toujours affiché des œuvres numériques. « C’était une idée que j’avais dès la création il y a 10 ans. Les 3 ou 4 premières années, j’ai affiché des œuvres plus traditionnelles, par envie et aussi pour faire venir des personnes, et désormais je ne fais plus que ça. », précise Valérie Hasson-Benillouche, fondatrice de cette galerie.
Sa situation, comme celle de toutes les autres galeries, est très compliquée. Valérie Hasson-Benillouche l’explique : « Nous sommes actuellement fermés et nous travaillons en click & collect. Entre chaque confinement, nous avons pu ouvrir, et à chaque fois, le double de personnes venait par rapport à la période habituelle. On a très bien travaillé. Les gens étaient en manque de culture et de sorties. »
Les galeries numériques sont encore peu nombreuses en France, mais pour Mme Hasson-Benillouche, elles « apportent une nouvelle forme artistique que l’on voit peu, et qui est, à mon sens, le futur de l’art contemporain. » Bien que les premiers artistes créant des œuvres à partir d’algorithmes soient arrivés au début des années 70, cela ne fait en réalité qu’une dizaine d’années que l’on découvre réellement cet art.
Toutefois, en France, le passage au numérique a du mal à se faire. « La France va plus lentement que les autres pays. Le marché contemporain a mis plus de temps à se mettre en place qu’en Espagne, en Allemagne ou dans les pays du Nord. », souligne Antoine Schmitt. Bertrand Flour abonde dans le même sens : « Vous aurez de très grandes difficultés à travailler en Europe, […] j’ai du mal à travailler avec la France, car il est très difficile de pénétrer ce marché de l’art. »
Le passé historique de la France ralentit le passage à l’art numérique, qui pourrait aussi très vite évoluer. Valérie Hasson-Benillouche explique qu’« après les galeries numériques, les galeries virtuelles prendront peut-être le relais. Cela sera peut-être totalement obsolète dans 20 ans. Personne ne peut le deviner. » Mais, quoi qu’il en soit, cela va devenir une nécessité pour la France de ne pas être distancée par les nouvelles technologies, puisque l’art en ligne a représenté en 2019 un chiffre d’affaires de près de 5 milliards de dollars, soit un peu plus de 4 milliards d’euros.