Le théâtre de l'Odéon est occupé depuis le 4 mars 2021. © Jeremy Lequatre

Le théâtre de l’Odéon, dans le sixième arrondissement de Paris, est occupé depuis le 4 mars par ceux qui le faisaient vivre avant la fermeture des lieux culturels, le 30 octobre dernier. Reportage entre les grilles…

« Impossible de rentrer sans carte de presse », martèle un vigile depuis le seul point d’entrée de l’Odéon. Le théâtre parisien, occupé depuis bientôt un mois, filtre ses entrées avec précaution. Lorsque cinq personnes y rentrent, autant en sortent. Et rarement des journalistes. « C’est au bon vouloir de nos gardiens », sourit un homme d’une trentaine d’années, musicien. Il occupe l’édifice du XVIIIe siècle depuis moins de deux semaines et a vu de nombreuses personnes être refoulées devant les grilles. « Certains journalistes n’ont pas pu rentrer alors que des étudiants venus avec une grosse caméra sont venus passer deux ou trois heures », s’étonne-t-il.

Il faut dire que les journalistes ne sont pas forcément les bienvenus, surtout les Français. « Ils sont à la solde du gouvernement. Quand ils viennent, c’est pour faire des reportages à charge dans lesquels ils disent que l’on est des glandeurs qui attendent l’assurance chômage », grogne un individu, nous mettant devant les yeux une feuille listant les exigences des occupants. À l’exception d’une femme d’un certain âge, visiblement vexée que l’on puisse lui demander quels sont ses liens avec le monde de la culture, ceux qui vivent dans le théâtre se font une joie de parler avec le monde extérieur. Le siège est très bien organisé, la préparation s’est faite en amont. Tous sont venus avec leur sac de couchage et des affaires de rechange. Il y a également une douche et la restauration est assurée par des associations. Les bières se distribuent entre les rires des uns et les débats des autres. « Quelqu’un aurait un briquet ? », peut-on entendre à plusieurs reprises.

« On ne va pas se plaindre, on est nourris et logés pendant que l’on se bat pour une cause juste », confirme Philippe, maître d’hôtel. Lui aussi prestataire de service et vivant de l’évènementiel, il vit à l’arrêt depuis de long mois. Beaucoup de mariages ont été annulés, les salons ont été reportés et les diners mondains ne se font plus. Avec plusieurs confrères, Philippe a été invité à participer à l’occupation. « Saisonniers, prestataires, extras… On est tous touchés par la crise », détaille cet homme dont le masque ne permet de voir que ses yeux bleus. « Il y a une convergence des luttes », ajoute Lyazid, un second maître d’hôtel qui tient à préciser que son métier n’est pas sans lien avec la culture : « Il y a différentes façons de dresser une table, mais aussi de servir. Le service à la française par exemple, ce n’est pas mon préféré, mais c’est de l’art », explique-t-il, avant de raconter cette fois où il a accidentellement renversé du vin sur Simone Veil. Au contraire des intermittents du spectacle, les maîtres d’hôtel ne possèdent pas de puissant syndicat. Pour cette raison, ils ont suivi avec conviction l’assaut mené par la CGT-Spectacle.

Le même meneur depuis mai 68

Certains ne sont pas enclins à donner l’identité du meneur, mais « tout le monde sait que c’est Marco. Quand les politiciens viennent à l’Odéon, ils demandent directement à le voir », nuance un musicien. Au même moment, Marco s’approche justement de la grille. Moustachu d’une soixantaine d’années et tout de rouge vêtu, il vient constater comment se passent les relations avec l’extérieur. Le regard porté vers la place de l’Odéon, il n’adresse que quelques mots, validant par un sourire les rumeurs qui circulent à son sujet. Après quelques recherches, son véritable nom est Marc Slyper, lui aussi musicien mais surtout représentant de la CGT-Spectacle. De mai 1968 à aujourd’hui, en passant par 1998 et 2016, cet homme au crâne chauve a participé à toutes les occupations du théâtre parisien. Il ne s’inquiète pas d’une intervention policière. « On finira tous au parloir », ironise-t-il, avant d’ajouter qu’ils auront le temps de se préparer à sortir lorsque la police recevra l’ordre d’intervenir. « Ils ont aussi des membres de la CGT, on sera avertis avant même qu’ils se préparent à rentrer », assure un homme qui accompagnait Marco. Tous savent que l’évacuation finira par arriver, « et je serai prêt à tout filmer en cas de débordements », avertit Franck, street reporter présent à l’Odéon depuis le 6 mars.

Les occupants se sentent d’ailleurs assez surveillés par les vigiles employés par la direction du théâtre, dont les effectifs ont été renforcés depuis l’entrée des manifestants. « Au début, les rapports étaient tendus, ils n’ont pas apprécié l’entrée en force », explique Franck, également figurant à ses heures perdues. « Dans le fond, ils comprennent nos revendications. Ils ne sont pas davantage payés le week-end et n’ont aucune prime de nuit », ajoute un intermittent du spectacle. Les occupants sont obligés de faire des rondes la nuit, par peur que des tags soient réalisés par des personnes externes. « Les vigiles sont présents 24 heures sur 24, mais si le théâtre est abîmé depuis l’extérieur, ça nous retombera dessus », ajoute Philippe, qui réalise ne pas s’être porté volontaire pour la nuit. Difficile de savoir combien d’agents sont présents quotidiennement. « Suffisamment », estime un homme barbu, appareil photo en main.

Si la politique du gouvernement vis-à-vis de la culture est remise en question, certains admettent cependant qu’elle est plus avantageuse qu’ailleurs. Le chiffre d’affaires du secteur des spectacles vivants a baissé de 72% selon les chiffres officiels du ministère de la Culture. En septembre dernier, une enveloppe de deux milliards d’euros avait été débloquée pour aider le monde de la culture. « Certains théâtres rouvrent en Espagne mais ils n’ont quasiment pas d’aides là-bas, c’est tout le contraire en France », explique Simone, musicienne dont seul un léger accent trahit ses origines italiennes. En attendant, Franck essaie de motiver d’autres secteurs, et notamment les supporters de football. « J’ai envoyé des messages dans les groupes Facebook des Ultras de Paris, Bordeaux, Marseille, Sainté [Saint-Etienne, ndlr] etc… Ils pourraient occuper leurs stades, ça ferait mal », imagine-t-il, espérant un « effet boule de neige » similaire à celui des théâtres. De Lille à Pau, une trentaine de scènes seraient aujourd’hui occupées…

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