
Cinéma dans sa chambre, expos virtuelles, concerts en live stream, le quotidien d’un journaliste culture est lui aussi réduit aux seules possibilités du numérique. Pourtant, entre nouvelles pratiques et espoirs de reprise, les journalistes continuent leur travail.
Un concert bien nerveux à écouter de son appartement, sans personne aux côtés de qui remuer, sans un verre à partager, sans pouvoir reprendre un refrain. Regarder « Citizen Kane » ou « L’ascension de Skywalker » sur l’écran de douze pouces de son PC ; aller à l’opéra dans son salon. Entendre Raphael braire de son canapé et secouer sa guitare entre sa télé et son rhododendron. Passées les premières fois, c’est monstrueusement chiant !
C’est pourtant avec cette matière qu’Océane Goanec travaille depuis un an. La chroniqueuse Culture qui a les plus beaux yeux de la télé, passée par le CFPJ et BFMTV, collabore comme « chroniqueuse joker » à l’émission 64’(TV5Monde) et à 50’ Inside sur TF1. Elle pose un regard doux amer sur la conjoncture.
Comment pouvez-vous exercer votre métier lorsque le domaine vit à l’arrêt depuis maintenant plus d’un an ?
Océane Goanec : C’est très compliqué. Surtout au début, car les acteurs de la culture étaient en pleine adaptation, tout comme nous, les journalistes. TV5 a réduit ses éditions pendant le premier confinement, on était tous à la maison, ce qui donnait une ambiance particulière. Le journal était exclusivement fait d’images, avec des chroniques en direct depuis chez nous. Personne n’était en plateau. Les artistes se sont mis à s’illustrer en direct depuis leurs réseaux sociaux. Il y a des choses à raconter, mais on tourne rapidement en rond. On parle souvent de la capacité d’adaptation des Humains, elle existe réellement. La situation a poussé les artistes à trouver de nouveaux modes d’expression. C’est par exemple amusant de voir la Comédie Française poster chaque jour une vidéo sur YouTube, qui cartonne à chaque fois. Certaines personnes qui n’allaient pas voir leurs pièces les suivent désormais sur Internet. Il y a eu un côté positif, avec les artistes qui montraient qu’ils étaient évidemment essentiels. En tant que journalistes, on montre tout cela.
Vous avez rejoint 50’ Inside en août dernier pour parler culture, soit dans la période la plus compliquée de ce domaine.
C’est exact. J’ai découvert l’émission dans une période incertaine où il est compliqué de rencontrer les collègues. Soit on est en tournage, soit on est en télétravail. On a surtout du mal à trouver des sujets culturels. C’est une émission phare de TF1, on ne fera donc jamais de Skype pour interviewer quelqu’un, alors que c’est devenu banal dans de nombreux journaux télévisés. Il faut de l’imagination quand il n’y a plus d’évènements.
Traiter de la culture pour TV5Monde et pour 50’ Inside doit donc être très différent ?
Avec TV5, je suis un peu la rédactrice en chef de moi-même. C’est quelque chose d’unique, je peux arriver en conférence de rédaction avec des sujets sur des petits artistes ou sur des personnes qui avaient des initiatives particulières. En somme, des thèmes qui seraient refusés dans beaucoup d’autres endroits. Tout cela sans aucune restriction, c’est une richesse qui est infinie. On a un public international donc nos sujets sont encore plus larges. J’ai récemment découvert un collectif sénégalais que je trouve génial et sur lequel j’aimerais faire un sujet. Je sais qu’il sera accepté. Je n’ai jamais rencontré une telle liberté, dans aucun autre média, c’est très appréciable quand on est journaliste. Dans les sujets de 50’, il faut des artistes un peu grand public, qui correspondent à une certaine audience et à une certaine tranche d’âge. Tout est calculé, et c’est normal dans la télévision.
Vous avez interviewé le rappeur Joey Starr, qui s’est montré très critique à l’égard de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot. Les professionnels se sentent-ils délaissés par le gouvernement ?
Totalement. Je n’imaginais d’ailleurs pas que Joey Starr réagirait aussi directement. L’exaspération est réelle, depuis le début de la pandémie je n’ai jamais rencontré un artiste content des mesures gouvernementales. C’est leur métier depuis très longtemps, ils ont envie de revivre normalement. Il y a une sorte d’aberration à interdire l’accès aux salles de théâtre alors que nous sommes tous entassés dans les transports en commun. On voit aussi certains pays, comme l’Espagne, qui continuent les concerts et maintiennent certaines pièces. Quand il y a un siège d’écart entre nous, du gel hydroalcoolique aux entrées et l’obligation du port du masque, on n’attrapera à priori pas le Covid dans les salles. J’ai notamment ressenti beaucoup de tristesse en interviewant un comédien qui me disait ne plus supporter qu’on lui demande comment il va et comment il se réinvente. Il n’en pouvait plus de cette expression, « se réinventer ». C’est bien de se réinventer, mais cela peut être frustrant, surtout pour ceux qui sont sur scène.
« J’ai peur que l’on s’habitue à un monde sans culture »
L’accès à la culture a considérablement été modifié par l’épidémie. Un retour au « monde d’avant » semble difficilement imaginable.
Certaines pièces de théâtre vont peut-être se poursuivre en digital car elles y touchent davantage de monde. Mais pour la musique, un live Instagram ne remplacera jamais un vrai concert. Nous sommes désormais dans une ère de culture numérique, à tous les niveaux, mais rien ne remplace non plus une vraie exposition. On parle beaucoup de ces dernières lorsqu’elles se font en virtuel. J’ai essayé d’en regarder une fois, c’est impossible. On a besoin de voir les tableaux dans les galeries, de voir et d’entendre les artistes chanter. Le feeling est très différent.
Les sensations données par le visionnage d’un film au cinéma manquent à ceux qui les ont toujours vécues. Les nouvelles générations risquent-elles de se limiter au streaming ?
Je le crains. J’en parlais encore récemment, on s’habitue au streaming. J’ai peur pour cette nouvelle génération qui peut perdre l’envie d’aller au cinéma. Il devient commun de découvrir les nouveaux films sur les plateformes. C’est dommage car le cinéma est communément lié aux souvenirs de jeunesse. C’est souvent le lieu du premier rencard, du premier bisou, où l’on retrouve les amis le dimanche après-midi. Les places sont d’ailleurs trop chères, atteignant parfois 15 euros dans certains endroits. C’est plus cher qu’un abonnement par mois de streaming. Disney sort directement les films sur sa plate-forme, quelle sera leur priorité s’ils gagnent davantage d’argent et touchent plus de monde sans sortir en salle ? L’industrie du cinéma ne s’arrêtera pas, on a tous envie d’aller voir des films, c’est quelque chose d’essentiel. En revanche, qu’est-ce que change pour eux une sortie en salle d’une sortie en plate-forme ? J’attends de voir. Je ne peux m’empêcher de penser à l’avenir du cinéma, qui est parmi les domaines les plus impactés.
À titre purement personnel, comment vivez-vous cette période sans culture ?
Là-encore, voir que l’on s’y habitue m’inquiète. Les expositions et le cinéma me manquent cruellement, j’y allais trois fois par semaine. La sensation de la salle obscure et de la découverte d’un film est unique. Même si j’ai un vidéoprojecteur chez moi, ce n’est pas du tout la même chose. La Culture reste présente dans notre environnement. On l’a retrouve dès que l’on ouvre Internet. Il y en a encore beaucoup et c’est super qu’elle soit autant présente. Mais elle est là différemment. Je me rends compte que je m’y habitue également, j’ai donc peur que ce soit le cas pour les autres. Il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps. C’est aussi pour ça que les artistes sont inquiets. Mais qu’on soit clair, je serai la première à repartir voir un concert ou à aller au cinéma quand ce sera possible.
Les podcasts se sont multipliés pendant le confinement – vous avez lancé « Déconfi Nénés » en mai 2020 –, que peuvent-ils apporter de différent alors que les sources d’information n’ont jamais été aussi nombreuses ?
Ce qui est raconté dans les podcasts est à l’opposé de ce que l’on trouve ailleurs. Rien n’est formaté, c’est un pur bonheur pour le journaliste. À l’antenne, on sait combien de temps on peut parler, combien de temps doivent durer nos sujets. Au contraire des podcasts, où la liberté est énorme. On peut recueillir un témoignage sans avoir besoin de le couper au montage pour qu’il rentre dans un format prédéfini. Si la personne est intéressante, elle peut parler pendant une heure et on conservera son temps de parole intact. Et il y aura un public. Je pense que le podcast est un complément à nos sources d’information classiques, il va approfondir des sujets que l’on peut entendre ailleurs.