
La France compte aujourd’hui plus de 50 000 églises ou chapelles, destinées au culte de près de 3,2 millions de catholiques. Alors que la loi de 1905, sur la séparation de l’Église et de l’État, interdit tout financement de ce dernier dans l’activité religieuse, la majorité de ces églises appartiennent toujours aux collectivités territoriales, et dépendent donc de subventions publiques. Une question de survie avant tout.
L’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, les 15 et 16 avril 2019, a peut-être entraîné un élan de générosité démesuré, mais en parallèle, le patrimoine religieux français continue de se délabrer, sans que personne ne s’en occupe réellement. Et d’ailleurs, l’État est peut-être le propriétaire de Notre-Dame de Paris, mais ce n’est pas lui qui s’est majoritairement porté à son secours lorsque sa flèche était en feu, par manque de moyens. Les riches donateurs, privés donc, se sont bousculés au portillon afin d’être de se porter au chevet de ce monstre architectural.
Une chose à savoir avant tout : les églises n’ont pas toutes le même propriétaire. En 1905, alors que la loi de séparation des Églises et de l’État est votée, l’affectation des établissements religieux doit alors être décidée : qui sera à la charge de leur entretien ? « Contrairement aux protestants, qui désiraient demeurer propriétaires des lieux et du mobilier religieux, le pape a refusé et a fait des communes les propriétaires des églises paroissiales construites avant 1905 », explique Philippe Romain, ancien professeur d’histoire. Alors qu’historiquement, « la IIIème République voulait tout donner au diocèse, car cela aurait coûté moins cher à l’État », souligne Claire Danieli, responsable de l’Inventaire à l’Observatoire du patrimoine religieux (OPR).
On appelle mobilier religieux tous les meubles mais également les œuvres d’art et objets de culte présents dans les églises. Le diocèse, par la nomination d’un curé, devient alors affectataire des lieux et de ce qu’ils contiennent, en les utilisant librement. Mais quid des églises construites après 1905 ? Elles reviennent de droit au diocèse, qui peut en disposer librement, mais qui reste chargé de leur entretien. La majorité des églises en France sont donc la propriété des communes, puisque la plupart sont sorties de terre bien avant cette date fatidique.
Des exceptions qui persistent
« Les cathédrales ont encore un statut particulier, précise Philippe Romain, elles sont la propriété directe de l’État. » Lors du concordat de Napoléon Bonaparte, une règle est mise en place : seule une cathédrale par département pourra recevoir les subventions de l’État. Si le département en compte plusieurs, les autres devront miser sur les aides de la commune à laquelle elles sont rattachées. « Dans l’Oise, où je réside, seule la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais appartient à l’État. Les autres appartiennent respectivement aux villes de Noyons et Senlis », détaille Philippe Romain.
Les églises d’Alsace-Moselle, soit l’ancien Reichsland Elsaß-Lothringen, territoire cédé par la France à l’Empire allemand en 1871, jouissent également d’une exception. N’étant pas dans la République française en 1905, elles profitent encore des règles du concordat de Napoléon : l’État finance donc le culte.
Mais les municipalités ont-elles les moyens de subvenir à l’entretien des églises ? « Pourquoi les communes dépenseraient-elles de l’argent pour un lieu qui accueille de moins en moins de fidèles ? », relève Philippe Romain. Car c’est une réalité, les églises sont de plus en plus nombreuses à n’ouvrir leur porte que deux fois dans l’année, par manque de curés pour occuper les lieux. Pourquoi deux jours précisément ? Car selon Philippe Romain, « si une église n’est pas ouverte au minimum deux jours par an, la commune peut en demander sa fermeture. »
Une fréquentation en berne, qui a de quoi soulever la légitimité des sommes reçues par les églises pour leur entretien. En France, leur financement est régi par un système de protection : « Le patrimoine protégé reçoit des subventions du département, de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) et parfois même de l’État, explique Claire Danieli. Ceux qui ne le sont pas doivent seulement compter sur les dotations de l’État à la commune, qui y consacre une partie de son budget. » Mais ces aides gouvernementales sont de moins en moins conséquentes. Résultat : davantage de mécènes et d’acteurs privés interviennent dans l’entretien des édifices religieux non classés pour leur permettre de rester debout. La dernière solution afin d’éviter la démolition reste la vente.
Pour vendre une église, la commune doit avant tout prouver que l’église n’est plus régulièrement fréquentée. Ensuite, le diocèse doit désacraliser l’endroit. « Ces pratiques ne sont pas simples, elles sont même assez rares en France », souligne Philippe Romain. Il arrive également que le diocèse vende ses établissements. Face à des églises qui ne servent plus, dans lesquelles aucun curé n’officie, l’autorité religieuse n’a plus d’autres choix que de les vendre ou de les démolir. Il arrive que des communes les achètent, mais cela reste marginal.
La vente, dernier recours pour la survie
Pour Patrice Besse, agent immobilier spécialisé dans la vente d’édifices de caractère, « vendre ces églises est un acte politique fort pour une commune, car cela fait forcément basculer l’église dans le domaine privé. » Pour son agence immobilière, la vente représente alors l’ultime solution pour éviter la démolition : « Notre but est avant tout de conserver ce patrimoine français. Les églises doivent rester débout. Si cela va jusqu’à changer de propriétaire, alors il faut le faire », tranche Patrice Besse, qui place le patrimoine avant la religion. Lorsqu’une commune n’a plus assez d’argent pour maintenir le clocher d’une église debout, elle peut alors faire appel à ce genre d’agence immobilière spécialisée. « La seule contrainte que nous nous fixons est que l’édifice doit rester ouvert au public, d’une façon ou d’une autre », précise Patrice Besse.
Ce mélange de genres paraît toutefois très délicat en France, au regard du lien historique des Français à la religion. Beaucoup de communes ou de personnes, plus ou moins impliquées dans la religion, ont aujourd’hui du mal à concevoir un édifice religieux investi pour autre chose que le culte. « Et d’ailleurs, les plus ardents défenseurs du patrimoine religieux sont des gens qui n’y mettent pas un pied, ils veulent juste voir leur église rester debout tel quelle, en conservant sa mission cultuelle », conclut Patrice Besse. Pour Claire Danieli, que ce soit à l’initiative de la commune ou du diocèse, vendre une église revient « à signer son arrêt de mort. » À ses yeux, intégrer les églises au patrimoine, c’est leur offrir une chance de plus de survivre.
Protéger pour mieux financer
Les bâtiments protégés, eux, font partie du patrimoine religieux français au sens légal. Philippe Romain explique « qu’il existe un processus à deux niveaux de protection : il y a d’abord les bâtiments inscrits au titre de monuments historiques qui sont validés par le préfet. Puis parmi eux, le ministère de la culture peut décider d’en classer certains. » Mais ces différents degrés de protection ne font pas au bon vouloir des élus :« Pour être classé, un édifice doit justifier une originalité architecturale, et surtout un rôle dans l’histoire de France », détaille Claire Danieli. Et aujourd’hui, la tendance est « qu’il y a beaucoup de bâtiments classés monument historique, car c’était le seul moyen d’obtenir des subventions quand les régions n’existaient pas », conclut Philippe Romain.
Cette inscription ou ce classement sont alors déterminants dans le financement public des travaux de rénovation. Si la question du respect de la laïcité mérite d’être soulevée, celle-ci a rapidement été balayée par une jurisprudence très souple, qui autorise le financement public de travaux jugés nécessaires pour assurer la conservation de l’édifice. Afin d’éviter tout malentendu, il est nécessaire de dissocier le cultuel du culturel. L’État ne doit en aucun cas participer au financement de l’activité du culte, mais à tout ce qui se réfère à une activité culturelle : l’architecture en fait partie.

Dans ce cas-là, selon l’Observatoire du patrimoine religieux, « les subventions du Département peuvent atteindre 25 % du coût hors-taxe des travaux, avec un maximum de 20 000 euros, et celles attribuées par la Région couvrent jusqu’à 10 %, même si elles sont accordées de façon moins systématique. La DRAC, elle, peut prendre en charge jusqu’à 50%. »
Selon l’INSEE, en 2018, la France comptait plus de 45 000 bâtiments inscrits ou classés monuments historiques. Près de 30% d’entre eux étaient des édifices religieux. Mais ce patrimoine a tendance à s’agrandir même si l’État se montre de plus en plus réticent. Pour Claire Danieli, c’est tout sauf étonnant car « de plus en plus de maires veulent sauver le patrimoine. Comme ils n’ont pas le budget nécessaire, ils cherchent des subventions. » Au-delà de l’aspect purement cultuel d’une église, l’État doit y voir toute la dimension touristique et culturelle. C’est en considérant cet aspect que l’État et les collectivités territoriales peuvent justifier l’aide financière à un lieu de culte. « Un édifice classé a de de fortes chances d’attirer plus de visiteurs, et donc de faire vivre une industrie touristique autour », explique Claire Danieli.
En clair, aujourd’hui, les instantes communales ou diocésaines sont confrontées à un dilemme lorsqu’il s’agit de maintenir un édifice religieux debout. Résister à la vente, et se battre afin de trouver de quoi financer leur entretien. Ou bien, se résigner à céder la propriété du bien à un acteur privé, qui déterminera alors de la transformation qu’il souhaite donner au bâtiment. La réaffectation, sacralisée ou non, reste encore très marginale en France, mais cela peut apparaître comme un bon compromis, entre défense du patrimoine et seconde vie.
Trouver des sous, quoiqu’il en coûte
Depuis quelques années, plusieurs labels ont été créés pour les bâtiments non protégés, afin de leur permettre d’appuyer plus facilement leur demande de subventions et autres aides : « Il y a le Label du 20ème siècle, ou encore le Label Églises Vertes, lorsqu’elles sont construites avec du bois, ou qu’elles investissent dans des panneaux solaires », détaille la responsable de l’Inventaire à l’OPR.
Enfin, les propriétaires des églises, qu’ils soient publics ou privés, ont également le droit de faire appel à la Fondation du patrimoine, via une convention. Cet organisme va alors avoir pour mission de trouver des investissements, encore une fois publics ou privés, comme organiser une souscription, un appel aux dons, l’intervention de mécènes, ou encore les jeux Mission Patrimoine, portés par Stéphane Bern et la FDJ. En 2017, 872 conventions ont été signées par la Fondation, dont 85% avec des communes et dans 70%, il s’agissait d’actions pour des édifices religieux. Chaque année, la Fondation du patrimoine consacre 74% de ses aides à des biens destinés au culte, qui sont 8 fois sur 10 situés dans des communes de moins de 2 000 habitants.
« Ceux qui participent à la restauration de tels édifices bénéficient d’une déduction fiscale », complète Philippe Romain. C’est d’ailleurs cet enjeu qui conduit aux dérives excessives, comme a pu entraîner l’incendie de Notre-Dame de Paris. Les experts en finance ont bien saisi tout l’enjeu d’investir dans une telle restauration, au-delà de l’occasion marketing de se signaler comme « défenseur du patrimoine français ».