
Christine Lidon est vice-présidente de la Sacem, Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. Entrée en tant qu’autrice compositrice et sociétaire depuis les années 1980, la vice-présidente affirme que « la musique est à la base de la chaîne culturelle. » L’auteure-compositrice et chanteuse française revient sur une année difficile pour la société de gestion des droits d’auteur, pourtant leader du répertoire musical.
Une perte de 3,5 milliards d’euros pour les créateurs du monde entier. C’est le chiffre qu’estimait en octobre la Cisac, Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs, qui réunit 232 sociétés d’auteurs de 121 pays. La musique, qui génère le plus de droits mondiaux, est sans grande surprise la victime la plus durement touchée.
Confrontée à la fermeture des événements publics, la Sacem redoute une perte de 30 % de la valeur économique et des emplois de la musique en France. L’écroulement des collectes en droits d’auteur est historique. Face à cela, la société a pris des mesures d’urgence dès le début du premier confinement. Un fonds de secours est levé, allant de 300 à 5 000 euros selon le besoin. Vice-présidente et membre du Conseil d’administration depuis 2013, Christine Lidon est aussi membre du conseil professionnel du CNM, Centre national de la musique, et membre de l’UNAC, Union Nationale des Auteurs et Compositeurs. Elle explique que deux mesures essentielles ont été déployées à la Sacem, dont la première passe par le comité du cœur des sociétaires. Il s’agit de l’aide dédiée aux auteurs compositeurs en difficulté, existante tout au long de l’année, qui a évidemment été « renforcée pendant la crise du Covid avec tout un budget consacré à cette aide », précise la vice-présidente. L’autre mesure est un dispositif d’aide d’urgence, de trésorerie : des avances exceptionnelles calculées en fonction des revenus. Parallèlement, la Sacem a conclu un accord avec le CNC pour créer un fonds d’urgence audiovisuel à destination des auteurs et des compositeurs pour l’image. Tout comme les réalisateurs ou les scénaristes, les auteurs de textes et compositeurs de musiques à l’image contribuent à la qualité des œuvres audiovisuelles. Cette aide est valable pour chaque mois entre mars 2020 et mars 2021.
Des dégâts inexorables
La direction de la Sacem a également indiqué vouloir se séparer de 150 de ses 1 300 employés avec un plan de départs volontaires. Lors de l’Assemblée générale de juin dernier, alors qu’elle est au Conseil d’administration, Christine Lidon approuve cette décision drastique mais nécessaire. « C’était une proposition du service puis une décision coopérative de la part des auteurs, compositeurs et éditeurs. À cause des frais de gestion et des charges, on était dans une impasse. » D’un commun accord, la société organise les départs à la retraite et les départs volontaires de leurs membres.
Un problème inévitable apparait rapidement pour les droits d’auteurs puisque quand un morceau est diffusé, les droits sont perçus plus tard. « Évidemment, la crise a entraîné des conséquences sans précédent pour les concerts et festivals annulés. Par exemple, pour ceux annulés durant l’été 2020, l’impact se situe en janvier 2021. Il fallait donc prévoir la chute. » Le rapport de la Cisac souligne que la pandémie atteint de manière particulièrement violente les droits issus des concerts, des salles de spectacles et des représentations dans les espaces publics comme les bars, puisque les chutes de revenus pourraient atteindre jusqu’à moins 80%.
Depuis septembre 2020, Christine Lidon est également membre du conseil professionnel du CNM, centre national de la musique, où des dispositifs d’aide ont été mis en place depuis la crise. « C’est de là que partent les décisions d’aides gouvernementales. Le CNM est une véritable mine puisque nous sommes l’équivalent du CNC. » En réponse à la crise sanitaire, le centre a notamment débloqué pour les auteurs un fond de soutien exceptionnel de 10 millions d’euros. Budget ensuite transité par la Sacem. Le centre joue un rôle éminent de centralisation et de communication avec le Ministère de la Culture. La membre du conseil professionnel insiste sur la nécessité de ces aides qui sont « dédiées à toute la chaîne artistique, passant par les producteurs, les distributeurs photographiques, les spectacles etc. »
2020 : la musique 2.0
La Sacem a également de plus en plus signé avec des plateformes en ligne comme Spotify, Netflix ou encore TikTok et multiplié les mandats online. Une adaptation au numérique plus que nécessaire aujourd’hui. Christine Lidon explique : « Nous étions déjà sur les rails et les négociations en la matière ont démarré bien avant la crise sanitaire. Notamment via notre accord avec Twitch. » La vice-présidente les qualifie « d’utilisations de demain. » Encore plus depuis le Covid.
Pour des musiciens qui aimeraient se produire et continuer à obtenir des revenus, le live stream et le streaming deviennent des alternatives non négligeables. En cela, la Sacem a mis en place un live stream, permettant aux artistes qui se produisaient chez eux de percevoir une rémunération. Sur le live stream de la Sacem sur Twitch, 100 000 vues rapportent ainsi 1 000 euros pour l’artiste.
S’adapter au digital est devenu obligatoire. Christine Lidon résume à ce propos « qu’il y a des auteurs qui râlent parce que ça ne rapporte pas assez, mais être contre la digitalisation c’est aller contre le vent. » Si la vice-présidente juge qu’ils ont raison de se plaindre, le digital s’impose comme la nouvelle norme. Elle insiste ainsi sur la nécessité de « trouver des moyens pour que le système économique soit davantage en faveur de l’artiste. » Elle précise également que le problème des rémunérations ne s’applique pas que pour les droits d’auteur mais pour toute la chaîne de production. « C’est une paupérisation totale de l’artiste, contrairement à l’époque des taux d’audience avec les chaînes de télévision et de radio. »
Alors comment travaillent les sociétés d’auteur et de production sur les contours de la reprise, et qu’espèrent-ils pour le monde d’après ? Pour la vice-présidente de la Sacem, il faut surtout fédérer et fidéliser les artistes. « Le fond du problème c’est d’essayer de préserver le droit d’auteur sur le système anglo-saxon du copyright. Il faut que les artistes continuent à se sentir sécurisé et encadré par un organisme comme le nôtre. » Le domaine musical est en train de passer dans un autre monde, monde auquel il faut s’adapter et harmoniser tous les droits.
Pour des plateformes comme Tiktok, les négociations se font, et les plateformes sont conscientes que les artistes doivent être rémunérés. Il s’agit de rester soudé pour les convaincre. Pour la musicienne française, le constat est sans équivoque : « Sans culture, et surtout sans chanson, il ne se passe rien. Nous sommes à la base de la chaîne et ce sont des luttes qui ne cesseront jamais. »
Les acteurs de la musique ont et auront besoin du soutien des auditeurs, logiquement solidaires de la cause. « En tant que citoyen, il faut continuer à aller voir les artistes sur les plateformes, notamment là où il y a des licences et privilégier le live dès qu’il va reprendre. », encourage la vice-présidente. Le président de la Cisac a quant à lui demandé aux décideurs politiques « de remédier aux profondes distorsions qui faussent les conditions dans lesquelles les créateurs travaillent depuis des années », en désignant ouvertement les GAFA. Christine Lidon ajoute à cela « qu’il faut faire des choix politiques qui obligeraient les géants du web à passer à la caisse. »