
Un an après le premier confinement, le monde culturel est toujours au point mort. Parmi les acteurs culturels impactés, les musiciens indépendants ont dû trouver des alternatives : un nouveau mode de production mais surtout de représentation. Des nouvelles pratiques qui ne font pas l’unanimité, mais auxquelles les musiciens doivent s’adapter s’ils veulent suivre le courant.
Paikan se définit comme un bedroom producer, un musicien amateur qui crée, joue et enregistre sa musique de manière indépendante avec un studio à domicile. Fin septembre, il a eu l’occasion de remonter sur scène lors du festival Novosonic à Dijon. Une première pour lui de mixer devant un public statique puisque seuls les événements assis sont autorisés. Comme pour d’autres musiciens qui ont pu se produire dans cette configuration depuis un an, c’est une nouvelle approche qui change du tout au tout. « Les gens étaient sur leurs chaises, on a l’impression que le public s’ennuie alors que ce n’est pas forcément le cas mais c’est clairement perturbant. » Encore plus lorsqu’il s’agit de musique rythmée, en l’occurrence électronique, la dynamique de scène et l’ambiance de la foule peuvent manquer à l’appel. Dans un autre style, Paikan s’est aussi produit devant un restaurant universitaire. Une expérience atypique avec un public volatile, composé « d’étudiants faisant la queue pour aller manger… Pas dingue ! » C’est donc une configuration précaire pour un concert, mais l’artiste se doit de faire abstraction.
Il y a aussi un manque de spontanéité pour ce nouveau type de performances. Que ce soit pour un concert, un festival, une rave ou une performance de rue, il y a toujours une audience agrandie par des néophytes qui ramènent leurs amis, des curieux et des personnes qui se retrouvent là par hasard. La fête de la musique en est l’exemple le plus flagrant puisque, malgré la pandémie, des milliers de personnes se sont rassemblées le 21 juin dernier. Sans grande surprise, la configuration assise ne peut convenir à tous les groupes et à tous les styles de musique. Et parallèlement, elle ne peut non plus combler tous les publics.
The show must go on
Il y a deux écoles concernant les concerts numériques et autres performances partagées sur les réseaux. Pour Paikan, il n’y a aucun intérêt à « publier pour publier. » Pour lui, il est impossible de développer une audience sur les réseaux vu le nombre de petits artistes qui s’y essaient. Pour rappel, musicien reste la profession artistique du spectacle la plus représentée numériquement et celle dont les effectifs ont le plus augmenté au cours des dernières années.
Outre la foule d’artistes, le lien avec le public est profondément différent et réduit. Paikan affirme qu’il croit « aux lives, partir à la rencontre de ses auditeurs. C’est beaucoup plus personnel et intense que juste poster sur internet. » L’ambiance d’un concert, quelque part magique, relève pour certains musiciens d’un réel besoin. Ils espèrent évidemment pouvoir revoir un public réel plutôt que derrière un écran. Un espoir partagé par beaucoup d’auditeurs, déçus de n’avoir que du virtuel. Anne, fan du duo The Pirouettes, considère que « leur live stream était satisfaisant mais loin d’être transcendant. » Depuis le Trianon, les chanteurs se sont démenés devant une salle vide pour ambiancer leurs fans à travers un écran. Un pari risqué.
Être privé de concert, de ce lien avec le public, peut aussi être synonyme de frustration. Pour Valentin, chanteur et guitariste du groupe de rock Entropie, la crise sanitaire a bouleversé les plans initiaux. Les quatre membres du groupe, qui se consacrent à plein temps à la musique, ont tout de même pu jouer en live session aux Grandes-serres de Pantin. Valentin parle d’une occasion bénéfique, d’un cadeau, même si l’expérience n’a rien à voir avec un concert traditionnel : « Quand on a diffusé, on a tout de même eu énormément de retours positifs. C’est un bon remède, un bon compromis, même si ça reste incomparable à un vrai concert. » Deux salles, deux ambiances, avec une pression supplémentaire non négligeable. C’est assurément davantage de travail en amont, de répétitions, car s’il y a une fausse note, elle est là pour l’éternité. Adieu le lâcher prise que les musiciens peuvent avoir sur scène. En définitive, un concert est aussi une fête, un événement. Valentin va jusqu’à qualifier les deux expériences de dichotomiques : « Soit on fait un vrai concert, soit on est en tournage. »
Pour le jeune groupe de rock, les concerts devaient constituer 70% de leur travail, car ils représentent 70% de leurs revenus. Le plus compliqué pour eux étant désormais de gérer ce changement : « Évidemment, on ne se projetait pas à ça et on se retrouve obligé de concentrer notre énergie sur la création », ajoute Valentin. La création qui peut s’avérer difficile au vu du contexte. Pour Quentin, rappeur au nom de scène Waffo, le fait de ne pas sortir, de moins « vivre », a considérablement impacté son inspiration. Niveau opérationnel, le bedroom producer est resté tout autant actif mais il a perdu en facilité à créer. Lui et d’autres artistes, qui s’inspirent de leur quotidien, de leurs expériences, se retrouvent parfois en panne d’inspiration.
Vers le monde digital de demain
Au service de contenus artistiques variés, en particulier le cinéma et les jeux vidéo, le stream est en beaucoup de points l’outil d’avenir pour la musique. Il offre aux internautes la possibilité de voir des performances live d’artistes qui se produisent habituellement à l’international. En plus de l’effacement des frontières, le stream engendre moins de frais tout en assurant une qualité si la retransmission est réalisée avec les équipements adéquats.
Pour Waffo : « Les concerts numériques sont une suite logique des événements. » Au-delà du Covid, le stream est un outil qui permet aux artistes d’être plus proches du public, qui atteint facilement les milliers de personnes. Avec son label partenaire, ils ont lancé une application, In Live Stream, qui permet justement de voir des concerts en ligne, avec des artistes pop comme Matt Pokora ou Jenifer.
Côté logistique de l’événementiel, de l’organisation des concerts, beaucoup se sont emparés des outils numériques. C’est le cas de Mixmag, magazine consacré à la musique électronique. Mehdi, à la tête de la programmation artistique et de la communication de Mixmag France, explique qu’ils ont su trouver des alternatives intéressantes : « On a organisé des festivals en ligne, ce qui permet aux artistes de continuer à se montrer et à garder un certain lien avec le public. » Mixmag propose dorénavant des tournages qui mettent en avant des lieux culturels fermés depuis la crise sanitaire. Fin janvier, des artistes reconnus sur la scène française, comme Arnaud Rebotini, ont pu jouer aux Bassins de Lumières de Bordeaux ou à l’Atelier des Lumières, à Paris. Mehdi précise cependant que les concerts numériques ne peuvent combler « l’essence même de la musique électronique », à savoir la présence d’un public animé. « On attend les réouvertures avec impatience, en attendant on fait comme on peut », déplore-t-il. Un bilan que beaucoup de musiciens et artistes partagent, parfois avec amertume.
À noter que les plateformes de streaming comme Spotify représentent aujourd’hui le revenu numérique n°1 des musiciens. Chaque écoute sans abonnement (en l’absence de l’utilisation d’AdBlock) rapporte à l’artiste 0,0001€ et en cas d’abonnement payant 0,004€. Qu’elles séduisent ou non les musiciens, ces nouvelles pratiques de production et de performances ont le vent en poupe. De nombreuses plateformes de stream fleurissent, comme la plateforme française Gigson qui promet des spectacles de haute qualité en live streaming. Mi-janvier, le géant américain Live Nation annonçait son premier gros investissement depuis le début de la pandémie en devenant actionnaire majoritaire de Veeps, plateforme qui a hébergé en 2020 pas moins d’un millier de concerts en streaming. Une tendance à suivre.