Les intermittents du spectacle soutiennent la cause de tous les employés précaires. © Flickr / ValK

Les intermittents du spectacle disposent de leur propre système d’allocations au sein de l’assurance chômage. Un système qui leur permet de toucher des indemnisations entre deux missions, mais qui ne leur promet aucun revenu si l’activité culturelle est à l’arrêt. Explications.

« Notre première revendication est l’annulation de la réforme de l’assurance chômage », rappelle d’entrée l’acteur Samuel Churin, qui participe au blocage du théâtre de l’Odéon. Depuis plus d’un mois, une centaine de lieux culturels sont occupés par les intermittents du spectacle, inquiets de l’application de la réforme de l’assurance chômage. Censée entrer en vigueur au 1er juillet, celle-ci risque de réduire les allocations des membres du régime général, qui sont calculées en fonction du salaire journalier de référence (le SJR). Le mode de calcul du SJR sera modifié cet été, impactant considérablement les intermittents hors-spectacle. À savoir les agents de sécurité, les guides touristiques ou encore les extras de l’hôtellerie et de la restauration. Toutes ces personnes ont l’habitude de côtoyer leurs confrères du spectacle, qui ont décidé de prendre leur défense lors des Césars de mars dernier.

Durant cette cérémonie, récompensant chaque année les meilleures œuvres cinématographiques à Paris, le secrétaire générale de la CGT-Spectacle, Denis Gravouil, avait pris la parole pour défendre « les salariés précaires ». Paradoxalement, les intermittents du spectacle ne sont pas concernés par cette réforme. « On s’inquiète pour ceux qui ne dépendent pas du spectacle, avec qui nous avons toujours travaillé mais qui n’ont rien depuis le début de la crise », confirmait Joachim Salinger, représentant de la CGT Spectacle, début avril. En effet, depuis 1936 et la création du régime salarié intermittent à employeurs multiples, ils profitent de leur propre système d’allocations. Ils sont ainsi indemnisés entre deux contrats, dans les périodes pendant lesquelles ils n’ont pas de rentrée d’argent directe.

Leur particularité réside dans leur situation professionnelle. « Intermittent » n’est pas un métier mais un régime d’indemnisation. Il concerne les personnes dont l’activité n’est pas régulière. Un intermittent peut travailler pendant deux mois pour un film, puis rester inactif jusqu’à son prochain « cachet » (mission professionnelle) qui peut intervenir plusieurs semaines ou mois après. L’objectif du régime de 1936 était donc d’accorder un revenu financier entre deux périodes d’activité, mais seulement à ceux du secteur cinématographique. Auparavant, ces travailleurs étaient obligés de souscrire des contrats à durée déterminée (CDD), qui réduisaient leur accessibilité aux droits d’indemnité chômage. Avant 1965, seuls les techniciens du cinéma étaient intégrés dans ce régime, avant que ceux de la musique, du spectacle vivant ainsi que les artistes interprètes n’y soient progressivement intégrés.

Quel fonctionnement aujourd’hui ?

Couramment appelé « régime des intermittents du spectacle », il concerne une centaine de milliers de personnes en France. Tout employé est dépendant de l’assurance chômage, mais il existe deux annexes propres aux intermittents du spectacle. L’annexe 8 désigne ceux de l’audio-visuel, tandis que l’annexe 10 concerne ceux du spectacle vivant. Ces deux exceptions dépendent de la caisse d’assurance chômage mais se financent différemment. Dans son livre « Les intermittents du spectacle : enjeux d’un siècle de luttes de 1919 à nos jours » (paru en 2013), le chercheur Mathieu Grégoire qualifie ce régime « d’ensemble de règles spécifiques à une sous-population au sein de l’assurance chômage. » Son financement est donc uniquement assuré par les membres des secteurs du spectacle vivant et de l’audiovisuel.

L’accès aux indemnisations est évidemment conditionnel : il faut avoir travaillé 507 heures sur les douze derniers mois pour prétendre à l’ouverture des droits. Ces derniers permettent ensuite d’obtenir les allocations. Tout le système repose sur la solidarité entre les acteurs du secteur. Un intermittent ayant peu d’activité peut être indemnisé jusqu’à un an grâce aux cotisations de ceux qui ont des missions. Le revenu de ces derniers provient essentiellement de leur activité. Ils perçoivent donc moins d’indemnisation et financent les autres par leurs cotisations. Lorsque la période le permet, le système permet aux intermittents précaires – ceux qui ont du mal à cumuler les 507 heures, le tout avec un salaire proche des 10 euros par heure – d’être indemnisés plus régulièrement et plus longtemps. De ce fait, ceux touchant davantage d’argent verront leur nombre de jours d’indemnisation être réduits.

Depuis la Convention du 28 avril 2016, tous les intermittents du spectacle disposent de douze mois pour valider leurs 507 heures travaillées, contre environ dix auparavant. Mais dans certains cas, ils profitent de beaucoup moins de temps pour valider leurs droits au chômage. Il faut prendre en compte le principe de « date d’anniversaire flottante », qui correspond à la date de fin du dernier contrat de travail reconnu. La plateforme Intermittent, qui conseille les membres de ce régime, leur préconise de terminer « son dernier contrat de travail juste avant sa date anniversaire pour disposer du maximum de temps (12 mois) pour effectuer à nouveau 507 heures ». Si l’intermittent est indemnisé jusqu’au 10 décembre et que son dernier contrat de travail se termine le 9 décembre, il aura jusqu’au 9 décembre de l’année suivante pour effectuer ses 507 heures. Mais dans le cas où le dernier contrat touche à sa fin le 1er septembre, l’intermittent verra sa nouvelle date d’anniversaire être fixée au 1er septembre de l’année suivante. Son indemnisation touchant à sa fin le 10 décembre, il n’aura plus que neuf mois pour faire ses 507 heures.

L’épidémie pour dérégler tout un fonctionnement

Avec la pandémie et le confinement du début d’année 2020, les intermittents du spectacle se sont retrouvés sans festival durant l’été. Impossible pour eux d’atteindre le nombre d’heures nécessaires pour ouvrir leurs droits aux allocations chômage. Par conséquent, le gouvernement décide en juillet d’étendre la période d’indemnisation au 31 août 2021. C’est ce que l’on appelle « l’année blanche ». Les intermittents continuent de percevoir cet argent, sans pour autant être parvenus à travailler 507 heures. Au lieu d’être un complément de revenu pour beaucoup, les allocations chômage sont devenues leur seule rentrée d’argent. Mais les théâtres et autres lieux culturels n’ayant rouvert que partiellement entre juillet et octobre dernier, les intermittents du spectacle n’ont pas pu cumuler assez d’heures pour prétendre à de futures allocations. De ce fait, ils réclament la prolongation de cette « année blanche ». Chose que le gouvernement pourrait décider d’accorder, ou pas, dans les prochaines semaines.

« Avant même la réouverture des lieux de culture, on souhaite l’annulation de la réforme des allocations chômage, la prolongation de l’année blanche et son extension à tous les précaires », explique Samuel Churin. Pour lui comme pour les autres intermittents du spectacle, ces revendications sont faites au nom des chômeurs, bien au-delà du monde culturel. Les intermittents de l’emploi – hors spectacle – ont en effet rejoint le régime général en 2014, de ce fait, ils n’ont pas eu le droit à « l’année blanche » et vivent du revenu de solidarité active (RSA) depuis le début de la crise. Le fait que les lieux culturels soient toujours fermés donne d’ailleurs de la légitimité au secteur du spectacle. S’en sortant mieux que les autres, sans pour autant pouvoir travailler, les intermittents du spectacle souhaitent se battre pour les autres. D’autant plus qu’en cas de non-prolongation de « l’année blanche », eux aussi se retrouveront sans rien.  

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