
Après un été en demi-teinte, où les salles de cinéma ont pu rouvrir, le public n’a pas retrouvé les écrans depuis le 30 octobre. Les revues spécialisées dans le cinéma se sont vues directement impactées, dans leur format comme dans leur contenu.
Que faire lorsque le secteur sur lequel vous axez vos contenus est à l’arrêt ? C’est cette problématique que tentent de surmonter depuis un an les magazines et revues cinématographiques. Pour certaines, dont les critiques de films constituaient la base éditoriale, ont dû se réinventer, aller sur d’autres terrains, sortir de leur zone de confort. D’autres, au contraire, y ont vu l’opportunité de se recentrer sur du contenu plus original, moins dépendant de l’actualité des salles obscures.
C’est par exemple le cas du magazine So Film. Raphaël Clairefond, rédacteur en chef, explique « qu’avant le Covid, les moments d’actualité avaient pris trop de place dans le magazine, et les lecteurs n’achètent pas So Film pour lire de la critique. » L’absence d’une actualité cinématographique apporte alors une occasion à la rédaction : moins d’entretiens en lien avec des sorties ou de promotion, et plus de sujets d’enquête.
Un repositionnement éditorial…
« Nous voulons aller sur des sujets qui traitent de la cinéphilie, des stories, de l’enquête, avec toujours un pas de côté, qui fait la singularité de So Film, expose Raphaël Clairefond. Le Covid a donc été une contrainte qui correspondait à nos envies. » L’article Le cinéma les fait vomir ! Rencontre avec les phobiques des salles obscures est l’exemple parfait pour symboliser la volonté de So Film depuis sa création, et encore plus depuis mars 2020. En allant recueillir la parole de ceux qui ne supportent pas le cinéma, alors que tout le monde en regrette l’arrêt, So Film revendique pleinement cette envie de proposer autre chose.
Du côté de La Septième Obsession, cette crise sanitaire a permis de se recentrer : « Même si l’actualité nous donne une caisse de résonnance pertinente, cette période nous a permis de rebondir de manière intelligente sur les attentes de nos lecteurs, explique Thomas Aïdan, directeur du magazine, nous voulons les faire voyager, les faire rêver. » Tout comme So Film, La Septième Obsession a pu se repositionner vis-à-vis de l’histoire du cinéma, et proposer des contenus plus décalés. Débarrassés de cette « tyrannie de l’actualité », les journalistes de cette revue bimestrielle ont trouvé une certaine liberté à pouvoir traiter de sujets qu’ils n’avaient pas le temps d’aborder en temps normal, par manque de temps.
Habituée aux articles de fond, La Septième Obsession n’a pas vraiment souffert du manque de films à critiquer. « On a toujours fait du format long, avec un pas de côté sur l’actualité, reconnaît Thomas Aïdan, donc ça a moins été gênant pour nous que pour d’autres magazines spécialisés. On fait de la critique, mais cela représente 20 pages sur 130 dans un numéro. » En novembre, la revue a par exemple consacré une couverture et 70 pages au réalisateur David Fincher, dont 20 pages sur son dernier film, et un entretien exclusif. De quoi répondre aux attentes d’un lectorat plutôt jeune, et surtout avide d’articles de fond.
Il ne s’agit pas de bannir l’art de la critique du magazine. D’ailleurs, la rédaction de So Film a continué à y accorder de la place dans son numéro en novembre, « mais beaucoup de films n’étaient toujours pas sortis, et puis tant que les salles n’ouvrent pas, les distributeurs veulent attendre », justifie Raphaël Clairefond. Côté séries, So Film a décidé de ne pas trop s’étendre sur la question, par choix : « Nous n’allons pas nous obliger à traiter de la dernière série Netflix », mais aussi par soucis de logistique, « car nous avons du mal à recevoir les programmes à l’avance, donc c’est compliqué pour les intégrer », conclut le rédacteur en chef.
Pour Thomas Aïdan, cette période de creux pour le cinéma a permis au magazine de se renforcer sur d’autres productions comme les sorties séries de Netflix, Amazon ou Disney, « et puis, Netflix produit aussi des films », signale-t-il.
… et des conséquences pas si dérangeantes
Dire que l’arrêt quasi-complet du cinéma depuis un an n’a eu aucune conséquence pour les magazines spécialisés serait faux. So Film a dû revoir son rythme de publication. Réaliser un magazine tous les mois devenait difficile, la rédaction a donc décidé de s’organiser sur une sortie bimestrielle. Par conséquent, la pagination a elle aussi été revue à la hausse, avec des exemplaires de 132 pages, au lieu de 100 habituellement. « Ces mutations étaient dans les tuyaux depuis quelques temps déjà, mais la crise sanitaire a accéléré leur mise en place », précise Raphaël Clairefond. Ce rythme bimestriel a été d’office préféré par La Septième Obsession, dès sa création en octobre 2015, ce qui n’est pas pour déplaire à son directeur.
Pour So Film, l’année 2020 aura surtout été l’année du pari : lors du premier confinement, alors que les publications sont à l’arrêt, et pour préparer le lancement de la nouvelle formule, la rédaction lance un appel à pigistes. L’objectif est d’offrir l’opportunité à des néophytes de la rédaction de s’exercer, et d’écrire autour de la passion qui les rassemble : le cinéma. « On a reçu plus de 450 candidatures de personnes qui avaient très peu écrit dans la presse, ou même jamais. Le but était d’amener de nouvelles idées, un grand coup de frais », présente Raphaël Clairefond, qui précise que sur les deux derniers numéros de So Film, plus de 60% des articles ont été signés par ces nouveaux pigistes. « Avec ça, il y a 10-15 journalistes qui ont pu émerger, donc c’est une nouvelle base avec laquelle la rédaction de So Film a envie d’avancer », se réjouit le rédacteur en chef, qui ne se montre pas non plus fermé aux nouvelles candidatures : « La porte est toujours ouverte aux bonnes idées. »
Cette nouvelle formule de So Film est un véritable pari sur l’avenir, mais également à l’instant T. Ces pigistes ont du très rapidement se fondre dans la ligne éditoriale plutôt exigeante du magazine. Les journalistes alors en poste ont parfois dû les accompagner dans la construction de sujets, dans l’écriture. Pour Raphaël Clairefond, ceci est la preuve « qu’il y a un vrai appétit pour le cinéma et pour l’écriture. » La problématique de satisfaire tout le monde est très rapidement arrivée sur la table. Certes, les numéros sont plus denses, mais il n’en sort qu’un tous les deux mois. Il faut donc réussir à faire de la place à tout le monde, à composer des sommaires équilibrés, « afin de faire en sorte que chacun soit fier de son papier quand il sort », conclut Raphaël Clairefond.
Globalement, lorsqu’il effectue un tour d’horizon des différentes revues cinématographiques en France, Raphaël Clairefond se réjouit de voir que « dans sa spécificité, chacune est parvenue à maintenir une vraie proposition, à continuer d’exister, et il n’y a pas beaucoup de pays qui peuvent se targuer d’avoir 7 ou 8 magazines mensuels sur le cinéma, et qui tiennent la route », ajoute-t-il.
Mais pour lui, derrière cet impact sur l’industrie du cinéma, c’est une autre conséquence qu’il pressent : l’envie de lire des sujets sur le cinéma s’émousse. « Comme on ne peut plus aller dans les salles, se retrouver en terrasse pour parler du film qu’on vient de voir, qu’on en parle moins entre nous tout simplement, il y a une vraie perte de vie sociale autour du cinéma », déplore Raphaël Clairefond. La dynamique collective du cinéma a laissé place au plaisir solitaire de visionner un film. Ce phénomène décrit par Raphaël Clairefond ne concerne selon lui que les lecteurs occasionnels. Les lecteurs fidèles et cinéphiles, eux, sont toujours au rendez-vous, ce qui n’impacte pas les ventes.
Pour Thomas Aïdan : « C’est justement dans cette période que l’on fidélise encore plus les lecteurs. » Pour lui, le cinéma a un avantage : il peut être présent partout. Sur Internet, sur les plateformes, et sur d’autres supports où les films circulent. « 2020 n’a pas été une mauvaise année pour nous, je pense que l’on est d’autant plus légitimes car les amateurs de cinéma sont chez eux, ils attendent de lire, et nous sommes là pour leur permettre de continuer à vivre leur passion » conclut-il. De bonne augure pour les cinéphiles, dans leur interminable attente de revoir un jour un écran de cinéma.
J adore le titre.
Tres intéressant sur l adaptation de la presse cinéma en temps de COVID. De nouvelles opportunités dc de nouvelles compétences. La crise a parfois du bon.