© Patrice Woolley

Dans le contexte récent de la crise sanitaire, Anne Hidalgo, la maire de Paris, a souhaité que le service civique fasse désormais l’objet d’un recours massif. Mais qui dit recours massif dit aussi dérives et abus. Aujourd’hui, force est de constater que le dispositif est de plus en plus utilisé en remplacement d’un stage ou d’un emploi.

Une solution de repli plus qu’une mission d’intérêt général. Entré en vigueur en 2010, le service civique est un dispositif français d’encouragement à l’engagement de citoyenneté et de soutien public à celle-ci. Il a pour objectif initial de renforcer la cohésion nationale et de favoriser la mixité sociale et offre la possibilité aux jeunes de 16 à 25 ans de s’engager pour une durée de 6 à 12 mois dans une mission d’intérêt général. Malgré la recommandation – pour ne pas dire avertissement – de la Cour des comptes à mettre en œuvre une stratégie de contrôle, le gouvernement persiste et signe à généraliser le service civique.  Un triste constat quand on s’y intéresse puisque cette alternative est souvent la seule restante pour de nombreux jeunes. Pour les structures culturelles et le monde associatif qui manquent de moyens, le service civique représente une opportunité qui se refuse difficilement. Mais c’est aussi profiter de jeunes en difficulté, qui deviennent parfois « volontaires » malgré eux.

Comme beaucoup d’autres étudiants, Léa Saint-Bonnet n’a pas trouvé de stage qui correspondait à sa formation. Alors qu’elle est en Master d’études culturelles, elle s’est donc tournée vers le service civique puisque « les postes dans les structures culturelles se font rares. » Pendant 7 mois, elle est chargée de valoriser le patrimoine matériel et immatériel dans un centre d’art et de design. Elle, comme d’autres volontaires, sont reconnaissants de la diversité des missions accordées lors de leur service, leur permettant de s’essayer à plusieurs pratiques. Dans son cas, l’engagement citoyen était également présent et bénéfique : « Je travaillais pour la mairie de la commune, j’ai reçu des formations comme la PSC1, formation aux premiers secours. » Pour certains, le service civique est comparable à un stage long mais avec cet apport citoyen et des missions plus variées.

Pour Léa et Maxime, c’est clairement un gain d’expérience non négligeable mais aussi une formation valorisée sur le CV. Maxime, journaliste en contrat de service civique dans un média d’actualité locale, y voit aussi « l’opportunité de s’affranchir des contraintes du monde médiatique. » Puisqu’il s’agit de petites structures, en l’occurrence d’un média à but non lucratif, c’est aussi plus de liberté et de responsabilités facilement accordées. Comme de nombreux jeunes, le jeune journaliste a choisi ce dispositif pour « être à plein temps en faisant ce qu’[il aime]. » En particulier depuis la crise sanitaire, le processus de recrutement est ralenti et les offres se font rares.

Côté employeur, le manque de moyens est flagrant dans le domaine culturel. Clara, en contrat de service civique dans un atelier d’art, explique que ce mode de recrutement est évidemment avantageux : « La plupart des structures culturelles dépendent des subventions de l’État pour employer des jeunes, ou alors feront appel au bénévolat. Cela témoigne tout de même de la précarité du travail dans ce domaine, et de l’incapacité des jeunes diplômés à trouver de réels stages ou même des emplois. On se rabat sur le service civique. » Dans certains domaines, c’est alors une précarité manifeste des deux côtés : employeur comme employé. Le recours à cette alternative constitue un compromis de part et d’autre.

Des petits sous

Léa déplore que « pour 30 heures de travail, le salaire est à peine la moitié d’un salaire d’un employé basique. » Au total, selon les situations, les volontaires en service civique perçoivent entre 580,62 euros et 688,30 euros par mois. Cette indemnité est prise en charge par l’État à 80 % tandis que la participation obligatoire des structures d’accueil s’élève à 106,31 euros par mois. Une pilule encore plus difficile à avaler pour Maxime qui espérait « avoir un salaire classique à la sortie de ses études. » Le jeune diplômé de Sciences Po Rennes estime que « travailler à plein temps pour si peu n’est pas normal. »

Autre désavantage considérable du dispositif : les étudiants boursiers peuvent dire adieu à leur apport habituel. Les jeunes appartenant à un foyer bénéficiaire du RSA, ou titulaires d’une bourse de l’enseignement supérieur au titre du cinquième échelon et plus bénéficient d’une majoration d’indemnité de 107,68 euros par mois. Un chiffre scandaleux quand on fait le calcul, puisque la bourse accordée par le Crous s’élève mensuellement à 461 euros pour l’échelon 5, 567,9 euros pour l’échelon 7.

Parce qu’un train peut en cacher un autre, les jeunes ne sont pas éligibles non plus aux aides d’un salarié : « Le non-cumul avec les aides comme la prime d’activité relève de l’abus. C’est très clairement un type de contrat précaire », regrette Maxime. Lui qui gagne à peine plus que son loyer bénéficie seulement de l’APL. C’est en réalité l’unique aide cumulable au service civique, outre l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH). En définitive, aucun moyen d’atteindre un salaire proche du Smic.

Pour Léa Delavet, étudiante qui a fait son service civique dans une galerie d’art contemporain, il est « difficile de se contenter de ça quand on réalise aussi qu’il n’y a aucune autre aide possible ! » Elle dénonce aussi les nombreux emplois déguisés en contrats de service civique : « Quand je regarde les offres d’emploi, je vois plein d’offres de contrats de services civiques qui demandent des compétences très spécifiques, voire des expériences réussies dans le domaine. Certains veulent quasiment un profil de jeune actif en quête d’un CDI, comme pour un emploi quelconque. » Pourtant, le service civique assure sur son site qu’il « n’y a pas de conditions de diplôme ni d’expérience professionnelle. Ce sont le savoir-être et la motivation qui comptent avant tout. »

Le constat est sans équivoque pour Maxime : « Ce dispositif est à l’image d’un gouvernement libéral d’où est né un nouveau type de contrat sous prétexte d’une mission d’intérêt général. Encore plus dans la fonction publique et dans les structures qui ont des moyens, l’existence même de ce contrat est abusive. » En somme, l’un des objectifs (bien cachés) du dispositif est de profiter des jeunes, du chômage et du manque d’offres. Clara estime quant à elle que la rémunération « devrait être adaptée, déjà en fonction des heures et de la durée du contrat, et ensuite peut-être en prenant en compte les revenus des familles des jeunes, comme le système du Crous. »

Hors cursus scolaire, vivre avec environ 600 euros par mois est clairement insuffisant, Léa n’a aucun doute là-dessus : « Pour des jeunes non étudiants, qui ne sont pas financièrement soutenus par leurs parents, c’est tout simplement impossible de s’en sortir avec ce salaire. Surtout dans des grandes villes comme Paris ou Lyon. » Le service civique reste un dispositif flottant dont les volontaires déplorent l’absence totale d’un statut à part entière. Selon Clara, « ce statut est toujours considéré comme additionnel, il faut forcément faire quelque chose à côté, comme être étudiant par exemple, sinon on n’a accès à aucun autre avantage ou aide. » Devenu le nouveau statut précaire, il s’éloigne au fur et à mesure de son rôle initial de favoriser l’engagement citoyen des jeunes et la mixité sociale. Une mixité sociale peu probante puisque le rapport de la Cour des comptes recensait moins de 25% des engagés ayant un niveau inférieur au baccalauréat.

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