
Depuis l’arrêt du monde de la culture, les critiques se sont retrouvés face à eux-mêmes. Si certains sont parvenus à s’adapter, le métier de critique n’en reste pas moins délicat à appréhender entre insertion difficile, précarité et frontière avec le journalisme.
Le numérique salvateur ? Pour le magazine Gonzaï, tourné vers la culture pop et alternative, il n’y a pas eu de réel changement car le numérique était déjà bien implanté. Pierre de Baudouin, journaliste pour le magazine, l’explique : « Financièrement, on s’en est sortis par miracle. Ce n’est pas un gros magazine en termes de lectorat mais il y a une base d’abonnés fidèles qui sont restés », explique-t-il.
Amélie Blaustein Niddam, journaliste et rédactrice en chef de Toute la culture depuis 2009, estime que le métier a évolué par deux biais : « En bien car le numérique a su se faire respecter, mais en mal car on ne peut pas travailler dans les conditions habituelles. » Elle qui dirige pourtant un média pérenne, reconnu par le ministère de la Culture, reconnaît que la crise sanitaire leur a octroyé une force de frappe non négligeable : « On a multiplié les conférences en ligne, participé à des tables rondes via Zoom. Ce sont des occasions que l’on n’avait pas eues jusque-là. »
Mais certains ont été durement impactés par la crise. C’est le cas de Tristan Kopp, critique théâtral pour Rue89 Strasbourg. S’il a gardé sa casquette de pigiste, ce n’était pas suffisant en tant qu’activité principale. « Je n’avais plus de sujets sur le théâtre, j’ai interrompu mon travail et je me suis réorienté en tant que monteur post-production. »
Qu’est-ce qu’un bon critique ?
S’il est difficile d’en vivre, il est tout aussi complexe d’en apprendre les règles. Pour Amélie, c’est avant tout, être dans un jugement bienveillant et ne pas se demander si l’on aime quelque chose ou non : « On peut totalement être en désaccord avec le travail d’un artiste, ce qui ne veut pas dire que le travail est mauvais. Il faut savoir raison garder. » Il s’agit de mettre l’artiste en perspective, de questionner sa cohérence et d’impliquer l’œuvre dans un ensemble plus global. La critique aime se demander : « Est-ce que l’on a été pris pour des débiles, est-ce que ça fait avancer la machine ? »
Tous s’entendent sur un point : la nécessité d’être subjectif. Pierre de Baudouin reste lucide sur le sujet : « La limite entre le billet de blog et le vrai travail critique est légère, mais on ne peut pas passer à côté de l’aspect subjectif dans la critique musicale. » Un parti pris permet d’évoquer des points essentiels d’un point de vue artistique. Tristan Kopp l’assure également : « Prétendre l’objectivité c’est à la fois de l’ignorance et de l’arrogance. En tant que critique, j’aime beaucoup mettre des marqueurs de subjectivité, assumer qu’il s’agit de mon point de vue. » Mais attention à ne pas être prescriptif car, pour le jeune critique, la démarche est excessivement nocive. « Personne ne peut dire ‘cela est le bon goût, cela est le bon art’. », affirme Tristan.
Les critiques ne sont pas nécessairement voire rarement issus d’une formation journalistique. Tristan précise qu’il n’existe de toute façon « pas de formation journalistique de critique au point de vue universitaire. » Mais les critiques sont avant tout des passionnés d’art ou qui l’ont étudié de près, « qui sortent des bancs de la fac avec des formations type ‘arts du spectacle’ ou ‘musicologie’, plutôt que d’écoles de journalisme », assure Tristan. Amélie Blaustein Niddam fait clairement la distinction entre les deux : « La critique fait partie de mon travail de journaliste mais ce ne sont pas deux mots qui sont synonymes. Un critique n’a pas forcément la carte de presse mais a la carte de critique. » Et réciproquement, un journaliste aura la carte de presse mais rarement celle de critique.
Côté rédaction chez Gonzaï, Pierre fait partie de la petite partie de journalistes qui travaillent pour d’autres rédactions, mais il explique que « la plus grosse part sont des collaborateurs externes qui ne viennent pas du monde journalistique. » Ce qui assure une diversité mais aussi une liberté puisque Gonzaï s’inspire du gonzo journalisme, journalisme ultra-subjectif. Pierre de Baudouin le fait comprendre : « On assume le parti pris, on assume nos opinions tranchées. On se rapproche aussi de titres comme Hara-kiri pour le côté autodérision dans la ligne éditoriale. »
Amélie est aussi élue au Syndicat professionnel de la critique de théâtre, de musique et de danse. Intégrer le syndicat se fait par cooptation, par reconnaissance des pairs. « Il faut remplir un dossier avec vos articles, expliquer sa motivation et ensuite c’est la profession qui vous reconnaît. De là, vous intégrez le syndicat et obtenez une carte de critique », indique l’élue. Le syndicat compte aujourd’hui une cinquantaine de critiques.
Critique, un métier de niche ?
Devenir critique, être publié dans un journal, s’avère difficile puisque les places sont limitées et rares. Et le problème est plus dense car Tristan estime que dans la presse française, « on a plus à cœur d’avoir des journalistes polyvalents, des deskeurs qui sont capables de relayer tout type d’actualité. » Phénomène qui n’épargne pas le monde culturel. Selon le critique théâtral, beaucoup de critiques artistiques se contentent de s’appuyer sur les dossiers de presse qui sont fournies par les structures et les compagnies. Notamment parce que beaucoup de chargés de relation presse ont eux-mêmes été critiques ou journalistes et connaissent les besoins d’écriture, de format, de texte. En définitive, Tristan témoigne que « leurs dossiers de presse ressemblent déjà à des articles. » Dans ce cas, le critique a facilement tendance à se faire le relai de la communication plutôt qu’être dans une démarche rigoureuse et déontologique.
Pour la rédactrice en chef de Toute la culture, le fait d’être reconnu sera toujours une question d’entre-soi, « lorsque vous êtes vu et revu dans les salles de spectacle », ajoutant que « le monde de la critique est un monde de reconnaissance. » Tristan convient que « le critique doit entretenir des bonnes relations avec les responsables des théâtres. » Il y a une relation d’interdépendance entre le théâtre et le critique, qui peut ainsi dégrader la qualité finale du papier.
C’est aussi une forme d’élitisme où « le critique assène une sentence, il y a une figure de juge dans la critique d’art », assure Tristan. Mais le jeune critique a le sentiment que « le pouvoir de nuisance d’un critique, surtout théâtral, est beaucoup moins puissant qu’avant. » Comme toutes les pratiques culturelles évoluent, « le juge a une portée faible car dans le milieu du divertissement, les gens s’informent par d’autres moyens que les journaux spécialisés et font davantage confiance à des personnes moins surplombantes. » Aujourd’hui la tendance est plutôt de faire confiance à son entourage voire à des influenceurs qui vont parler de manière plus décontractée. Une bonne chose selon le critique théâtral puisque les critiques sont amenés à revoir leur position, apportant un peu de modestie à la profession.
Pour Pierre, il est tout à fait possible de proposer des critiques à bon nombre de médias « mais il ne faut pas forcément attendre le côté professionnel quand on n’est pas journaliste et même si on l’est. » Il est difficile de vivre à 100% du journalisme musical et il faut souvent trouver des compléments de revenus. Tout est question de moyens et « souvent, on va proposer des critiques peu rémunérées parce que beaucoup de médias culturels ne sont pas viables financièrement », ajoute le journaliste.
Des rémunérations insuffisantes que Tristan regrette : « Je ne peux clairement pas en vivre. Avant la crise sanitaire, ça devait me rapporter autour de 400€ par mois. » À noter qu’une pige rapporte en moyenne entre 40 et 70 euros. Force est de constater que les métiers de la presse se précarisent et que la plupart des journalistes, même ceux dotés de la redoutable carte de presse, restent pigistes. Alors qu’il a en parallèle lancé sa chaine Youtube, il assure que l’audience n’est pas assez forte pour être lucrative : « D’un point de vue économique, ce n’est pas rentable mais en termes de liberté créative c’est un champ d’expérimentation plus libre qu’en rédaction. »
La rédactrice en chef de Toute la culture abonde dans le même sens : « C’est un métier où il faut bricoler entre faire de la critique et d’autres travaux d’écriture, travailler pour des théâtres etc. Être critique et travailler dans la presse culturelle est viable, mais uniquement critique me semble très compliqué, surtout aujourd’hui. » Amélie avoue aussi que « le secteur culturel est bouché et il y a un mépris d’État et de classe sur la culture. » Le rapport entre l’offre et la demande est déséquilibré, puisqu’il y a beaucoup de demandes pour peu d’élus.
Souvent associé aux métiers de journaliste et d’écrivain, le critique d’art s’en distingue par sa prise de position et l’analyse critique des arts sur lesquels il travaille. Mais de plus en plus de passionnés d’art s’essaient à la critique en amateur grâce aux nouveaux canaux médiatiques comme les blogs ou la plateforme Youtube. Certains finissent par être reconnus par le milieu, comme In The Panda, Youtubeur cinéma aux 300 000 abonnés, désormais invité à tous les plus grands festivals.